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de périr pour avoir contrevenu aux édits du cardinal, éloigne le péril de sa tête en déclarant aux yeux de tous qu’il n’avait pu se battre en duel la nuit précédente, comme on l’en accusait, attendu que cette nuit-là, il l’avait passée avec elle. Tel est le point de départ que M. de Saint-Georges a choisi pour tisser son intrigue. Inutile d’ajouter que cette situation, se développant au second acte, y produit un motif de finale admirable, et dont une main énergique et puissante, la main de l’auteur des Huguenots par exemple, eût magnifiquement tiré parti.

Ceci nous amène à parler de la musique. En vérité, chaque fois qu’il nous arrive d’avoir à nous expliquer sur le compte de M. Halévy, notre embarras est grand. Nous professons une sincère estime pour le talent pratique de M. Halévy, et ne ressentons, en somme, qu’admiration pour sa manière distinguée, exquise, de traiter l’orchestre ; mais comment lui reconnaître ce qu’il n’a point, ce qu’il n’a jamais eu : des idées ? Imiterons-nous ces gens qui, après avoir refusé l’invention à l’auteur de Guido et Ginevra, de Charles VI et du Guitarrero, vont se raviser tout à coup à propos des Mousquetaires de la Reine, et crier au miracle, en convertis de la veille qu’une lumière éblouissante inonde ? Comme si les qualités de cette nature se produisaient par révélation, comme si la veine mélodieuse allait jaillir un beau matin du sol déjà plus de dix fois inutilement labouré ! Non, il n’y a point, lieu de se confondre en de tels étonnemens ; les choses n’ont point changé le moins du monde, et l’auteur des Mousquetaires de la Reine demeure ce qu’était l’auteur de l’Éclair, ce qu’était l’auteur de la Reine de Chypre et du Lazzarone : un harmoniste habile, un écrivain musical d’une correction, d’une pureté de style des plus rares, auquel je reprocherai cependant de pousser trop souvent jusqu’à la minutie l’amour de la délicatesse et de la curiosité. L’art musical a ses mathématiques, son algèbre, qui en doute ? mais cette langue mystérieuse des sons tire sa valeur réelle et profonde du souffle d’en haut qui la pénètre et l’anime ; autrement tous ces hiéroglyphes courent risque de n’intéresser que des lauréats du Conservatoire, lesquels goûtent à déchiffrer vos chefs-d’œuvre ce patient et laborieux plaisir qu’on prend à trouver le mot d’une énigme. On a prétendu qu’il y avait dans Mozart l’étoffe d’un mathématicien de premier ordre ; que ne serait-il point advenu de M. Halévy, en supposant que ce don du calcul tienne, chez l’auteur de la Juive, l’espace que les facultés imaginatives occupaient en outre chez l’auteur de Don Juan ! De quels problèmes immortels M. Halévy n’aurait-il pas doté l’Académie des sciences, s’il eût passé à méditer Euclide tout le temps qu’il a mis à écrire ses opéras, qui sont des problèmes à leur manière ! Dirons-nous maintenant que la scène pendant laquelle Mlle Athénaïs de Solanges laisse choir son éventail aux pieds du chevalier d’Entragues est un morceau très habilement dessiné, que le quatuor du second acte débute par une phrase remplie de charme, et que la romance du ténor, au troisième, a de la grace et de l’expression ? Mais tout cela, chacun le sait d’avance. Le fini