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quelles difficultés cette musique de Cimarosa offre au chanteur, quelle large place occupe le style dans cette exécution ; eh bien ! M. de Candia s’est tiré de ce pas décisif de manière à provoquer les applaudissemens de tout le monde et à réaliser les belles promesses qu’il avait données dans le Pirate, ce qui assurément n’est pas peu dire. Pour ma part, je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu rendre avec une si admirable perfection l’immortel cantabile : Pria che spunti… David et Rubini sans doute y mettaient une expression divine ; mais cette vois jeune, fraîche et vibrante, ce timbre d’or dont aucune rouille n’altère l’idéale sonorité, voilà ce que M. de Candia possède en propre, et ce qui lui assure l’avantage sur ses rivaux en cet air classique, où la maestria du reste joue un si grand rôle. Air merveilleux, modèle sublime d’élégance et de pureté, qui semble défier le temps, mieux que le temps, cette espèce de prévention que les générations nouvelles nourrissent contre tout objet d’une admiration traditionnelle. Vous avez beau avoir négligé cette musique, il faut y revenir comme à Racine. Je me suis souvent demandé, à propos de cet air, quelle part revenait aux paroles dans l’inspiration musicale !

Pria che spunti in ciel l’aurora, etc.


C’est-à-dire : « Avant que le jour commence à poindre, deux chevaux nous attendront à la porte du jardin, et nous nous enfuirons sans bruit. » Comprend-on que, d’un motif aussi bourgeois, ait pu sortir ce chef-d’œuvre de pathétique et d’amoureuse divagation ? L’ame qui veut chanter se prend à ce qu’elle trouve ; qu’importe ce qu’on lui donne, pourvu que ces flots mélodieux, qui débordent, aient leur cours ? Tant d’autres existent qui ne trouveraient pas une note quand vous leur donneriez la scène de Juliette au balcon ! — Lablache est le Geronimo par excellence. Comédien d’une verve inépuisable, d’un naturel parfait, on sent qu’il aime d’enfance cette musique, et s’y complaît. L’humeur bouffonne de l’ancien opéra italien lui sort par tous les pores ; il ne chante pas ce rôle, il le transpire. Lablache est le dernier des héros, le dernier dépositaire de la tradition des Païsiello, des Cimarosa, des Fioravanti, de toute cette race de bons esprits à la Molière que devait si rapidement détrôner Rossini, ce Beaumarchais italien. Lui présent, on se croirait aux beaux jours du règne de l’opéra bouffe. Sa gaieté sympathique gagne autour de lui tout le monde. Vainement les autres personnages portent les costumes de notre temps ; c’est assez de son habit de taffetas, c’est assez de sa perruque et de ses souliers à boucles, pour que la mise en scène ait la couleur qui sied. Vit-on jamais plus amusante physionomie ? Comme cette surdité du bonhomme est admirablement rendue ! quelle netteté dans le débit ! quel art dans la manière dont il écoute sans entendre, et quelle voix foudroyante encore dans les morceaux d’ensemble ! Une autre qualité qu’on ne saurait trop louer chez Lablache, et qui, selon moi, témoigne plus que tout de la profonde intelligence qu’il a de cette musique, c’est le soin curieux avec