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à quitter la scène à l’âge de la Grisi ? Est-ce donc tout chez une cantatrice que cette ingénuité de la voix et du talent, et faut-il dédaigner l’ampleur, le grandiose, toute cette émotion, tout ce pathétique, toute cette maestria que l’expérience donne seule ? Qu’on songe donc à la vaste carrière qu’a fournie la Pasta ! Chose étrange d’ailleurs ! on tient à persuader au public que telle prima donna a dépassé le temps voulu de faire ses délices, et voilà que la jeune survivante qui doit à nos yeux représenter l’avenir se trouve être à quelques mois près du même âge que son illustre devancière dont on cherche à se débarrasser au nom du passé ! Nous n’avons certes pas la prétention de citer des dates, mais il pourrait se faire qu’entre Mlle Teresa Brambilla, qui arrive, et la Grisi, qu’on voudrait voir partir, il y eût à peine sur l’âge une différence de quelques mois. Le grand avantage de Mlle Brambilla est en tout ceci dans son obscurité. Être inconnue, n’avoir rien fait, qui peut nier que ce soit là une jeunesse, peut-être la plus réelle, la plus incontestable ? Quel dommage qu’on en abuse si souvent ! — L’exemple de la Grisi nous rappelle ce qui se passait vers 1830 à l’égard de la Pasta. Contre elle aussi, une sorte de réaction se déclarait ; elle aussi, on prétendait la répudier. À cette époque, l’illustre cantatrice abandonnée chantait les plus beaux rôles de son répertoire, Semiramide, Tancredi, Otello, sur une scène secondaire de Milan, au théâtre Carcano. Par bonheur, arrive Donizetti, qui écrit Anna Bolena. De ce moment, l’enthousiasme assoupi des anciens jours se réveille, les transports éclatent de nouveau, les lauriers à moitié flétris reverdissent. L’impulsion une fois donnée, Bellini se met de la partie, et voilà qu’une ère glorieuse recommence : l’ère de la Sonnambula, de Norma, de Beatrice di Tenda, qui nous la ramène triomphante à Paris, et relève aux yeux de tous sa royauté soi-disant abolie. Il s’en faut certes, et de beaucoup, que la Grisi ait atteint ce moment critique où touchait la Pasta lors de l’avènement de Donizetti et de Bellini ; aussi, quelles ne seraient point ses chances favorables si de nouveaux rôles venaient à lui échoir ! On a vu ce qu’elle a fait dernièrement du personnage de Norina dans le don Pasquale, quel entrain plein de grace, quelle voix facile et brillante elle a su mettre au service de ces coquettes mélodies du compositeur bouffe. Malheureusement l’état de santé où se trouve aujourd’hui M. Donizetti, après tant de travaux et de fatigues, ne permet guère d’espérer qu’il se puisse rendre à son aide ; cependant, à défaut de l’auteur d’ Anna Bolena, d’autres peut-être se fussent rencontrés, Verdi par exemple, et jamais on ne nous fera croire qu’elle n’eût pas été à ravir dans la doña Sol d’ Ernani. Pour M. de Candia, nous ne connaissons pas les griefs qui existent entre lui et l’administration du Théâtre-Italien, griefs qui d’ailleurs tendraient à s’effacer, puisqu’on assure que le jeune ténor, après avoir songé un moment à quitter notre scène, aurait aujourd’hui consenti à rester. Toujours est-il que nous ne pouvons qu’en vouloir aux circonstances qui l’ont empêché de se charger du rôle d’Ernani, et tous ceux qui assistaient l’autre soir à la reprise du Matrimonio segreto penseront comme nous. On sait