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D’ailleurs, pourquoi M. Malvezzi et Mlle Brambilla, lorsqu’on avait sous la main M. de Candia et la Grisi ? Ici se présente une question délicate, mais dont nous voulons dire un mot dans l’intérêt des deux parties : du Théâtre Italien, que nous aimons, que nous voulons continuer à voir illustre et prospère entre toutes les scènes musicales de l’Europe, et de deux artistes éminens pour lesquels nous avons eu tant de fois ici même l’occasion d’exprimer nos vives sympathies.

On se souvient de la fameuse querelle qui éclata l’an passé entre Mlle Grisi et M. Vatel au sujet du rôle d’Élizetta dans le Matrimonio, rôle que la belle Desdemona avait agréé d’abord, et qu’à tort ou à raison (à tort sans doute, puisque les tribunaux ont décidé contre elle) elle refusa, lorsque son directeur voulut convertir en un devoir une question de pure complaisance. Nous n’avons point, Dieu merci, à revenir sur la chose jugée ; occupons-nous seulement des conséquences graves et terribles, conséquences qui, pour peu qu’on les laissât faire, ne tendraient à rien moins qu’à amener au sein de notre compagnie italienne un de ces remaniemens forcés auxquels personne que nous sachions n’a beaucoup à gagner. De ce jour, on l’imagine, les bons rapports durent cesser, et, le temps n’ayant pas pour habitude d’apaiser de pareils griefs, à l’aigreur, à l’irritation du premier moment succédèrent bientôt une cordiale mésintelligence, un dessein franchement arrêté de se passer le mieux possible l’un de l’autre. Or, ce qu’un directeur de théâtre qui prétend secouer l’autorité de sa prima donna a de mieux à faire pour les petits intérêts de sa rancune, c’est d’exclure la prima donna du répertoire nouveau. Reste à savoir si les intérêts de l’art et de son entreprise s’accorderaient long-temps de cette politique. A vrai dire, nous ne le pensons pas ; et l’échec que, par le fait d’une exécution volontairement médiocre, la partition de Verdi vient de subir, malgré les incontestables beautés dont elle abonde, cet échec prouve suffisamment combien il serait dangereux qu’un tel système se renouvelât souvent. La Grisi d’ailleurs, n’en déplaise aux mille bruits qui courent sur la prétendue décadence de son talent et de sa voix, n’est point encore si à bout de ressources qu’on se plaît à le répandre. S’il se peut qu’elle ait perdu depuis quelques mois de son ancien crédit, ce que du reste rien ne prouve, il ne faudrait qu’une circonstance, l’idée qu’on va la perdre par exemple, pour ranimer à l’instant en sa faveur toute la sollicitude du public. Qu’on ne s’y trompe pas, parmi nous qui avons connu la Pasta et la Malibran, la Grisi est encore la seule qui garde le prestige d’une grande cantatrice ; et, en attendant qu’une majesté nouvelle s’élève pour recueillir dignement son héritage, ne nous laissons pas envahir par les petites usurpations. Toutes piquantes et originales que soient les physionomies qui s’agitent sur le devant de la scène, on aime à la savoir dans le fond, elle, la Sémiramis et la Norma, la Desdemona et l'Elvira, toute prête à nous venir rendre, au lendemain des ovations éphémères, les vigoureuses beautés du classique répertoire. Où en serions-nous s’il fallait qu’une cantatrice songeât