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dans le repos, après avoir contemplé son ouvrage. La ligue elle-même en avait peut-être l’intention, lorsque M. Cobden disait en son nom, à Manchester : « Tout nouveau principe politique doit avoir ses représentans spéciaux, de même que toute foi a ses martyrs. C’est une erreur de supposer que notre association peut être employée à d’autres desseins. C’est une erreur de supposer que des hommes qui se sont distingués dans la défense de la liberté commerciale puissent désormais s’identifier avec la même énergie et le même succès à tout autre principe. Ce sera bien assez pour la ligue d’avoir assuré le triomphe du principe qui est devant nous[1]. »

Mais le projet de sir Robert Peel, en rejetant dans l’avenir la suppression complète des droits établis à l’importation des grains, autorise en quelque sorte la ligue à rester en état d’observation, et à ne pas licencier ses troupes. Le principe de la liberté commerciale est reconnu, le gouvernement le proclame ; mais il reste à en surveiller l’application. La ligue entre dans une nouvelle phase de son existence, plus pacifique peut-être, mais non pas moins ambitieuse. Elle va régler l’exercice du pouvoir qu’elle a conquis. Elle a trouvé dans la liberté du commerce, selon la belle expression de M. Cobden, le principe de la gravitation dans le monde moral ; il lui reste à en déterminer les lois et à en déduire les conséquences.

Au surplus, quand on accorderait que la mission apparente, ostensible, de la ligue touche à son terme, il resterait encore à examiner si le mouvement d’ascension et d’expansion qu’elle a suscité et qu’elle représente au sein de la classe moyenne peut s’arrêter en un jour.

Nous montrerons aux propriétaires fonciers, disait encore M. Cobden à Manchester, que nous pouvons transférer le pouvoir des mains d’une seule classe aux mains des classes moyennes et industrieuses de l’Angleterre. Nous continuerons ce mouvement, et j’espère qu’il ne s’arrêtera jamais[2]. »

Oui, j’en crois M. Cobden et M. Bright, la ligue est la lutte des populations manufacturières contre les propriétaires du sol. Dans cette guerre sociale, l’abolition des lois sur les céréales marquera peut-être un temps d’arrêt ; mais ni l’une ni l’autre classe ne posera les armes. La ligue a conquis une position ; il lui en reste d’autres à prendre. Les manufacturiers ne paieront plus tribut aux propriétaires

  1. Cobden’s speech, Manchester, 15 janvier 1846.
  2. Ibid., 20 décembre 1845.