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le délai de trois années lui paraît être une partie essentielle de son plan, je n’hésiterai pas, pour mon propre compte, à passer de son côté dans la division[1]. »

Ce que les whigs n’osent pas, ils voudraient bien le voir tenter par leurs adversaires. Ainsi, tout en déclarant que l’opposition votera pour le projet, lord John Russell engage sir Robert Peel à examiner s’il n’y aurait pas avantage pour le gouvernement, pour la propriété foncière, pour l’industrie, pour la nation en un mot, à rentrer sans délai ni transition dans un système de liberté complète. On assure que le premier ministre ne serait pas éloigné d’adopter ce parti ; mais le duc de Wellington y est contraire, et il ne faut pas oublier que le duc seul dispose de la chambre des lords.

La division qui existe dans les conseils du gouvernement paraît s’étendre aussi au conseil exécutif de la ligue. M. Cobden, l’homme politique, l’homme d’état du parti, pense qu’il faut, avant tout et quoi qu’il arrive, soutenir le ministère. D’autres, plus ardens ou moins expérimentés, voudraient que l’on combattît le projet, au risque d’accabler le ministère par le feu croisé des libéraux et des conservateurs. C’est la lutte naturelle que livre dans tous les partis, à l’esprit de gouvernement, l’esprit révolutionnaire. Dans la chambre des communes, les représentans de la ligue n’ont pas même pris la parole ; mais le journal de la ligue a déclaré, en termes formels, que, si les organes de cette opinion ne pouvaient pas obtenir la suppression immédiate de tout droit d’entrée sur les grains, ils voteraient pour le projet de sir Robert Peel. A tout évènement, la double déclaration de lord John Russell et de la ligue fixe le sort de la loi ; elle obtiendra très certainement une majorité de plus de cent voix dans la chambre des communes.

Supposons le vote émis et le débat terminé ; laissons le premier ministre aux prises avec le ressentiment de ses anciens amis, et recomposant péniblement, à l’aide du temps, la phalange aristocratique. Que va devenir l’association formidable qui a triomphé en peu de temps, et par la seule influence de l’opinion publique, des forces combinées de la propriété foncière et du gouvernement ? La ligue, en un mot, va-t-elle se dissoudre ? C’est pour faire cesser l’agitation, c’est, afin de rendre le pouvoir au gouvernement régulier, que sir Robert Peel sacrifie le système protecteur. Il espère donc que la ligue rentrera majestueusement

  1. Lord John Russell’s speech, 9 février 1846.