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et l’ordre public y gagneront parmi les populations industrielles. Les ouvriers auront plus de temps à donner à la culture de leur intelligence et à l’éducation de leurs enfans ; la famille cessera d’être une exception sociale, à l’usage exclusif des classes que la fortune a élevées au sommet de sa roue.

Cette concession des fabricans paraît avoir calmé les haines qui fermentaient dans les bas quartiers des villes industrielles. La cherté du pain a contribué aussi à ouvrir les yeux de la classe ouvrière ; elle commence donc à faire cause commune avec la ligue, et figure au rang le plus humble, mais non pas le moins important, de ses souscripteurs. Désormais la ligue ne se bornera plus à représenter les classes moyennes ; les maîtres de la manufacture seront aussi les chefs des ouvriers. Les multitudes, qui manquaient à cette grande armée, entrent enfin dans les cadres. La puissance de la ligue est complète et presque sans bornes ; malheur à qui la mettra dans la nécessité d’en faire usage !

Pendant que la ligue attire à elle de nombreuses recrues des deux extrémités de l’échelle sociale, le parti des propriétaires fonciers, qui avait sous la main une clientelle dès long-temps assurée dans la population des campagnes, voit la plupart de ces vassaux, dont la fidélité a été récompensée par la misère, impatiens d’échapper à l’oppression qui pèse sur eux. Pendant que l’armée industrielle grossit, l’armée agricole se dissipe. Les fermiers tiennent encore bon, quoique plusieurs, séduits par la prospérité des districts de l’Écosse, où le fermage se paie en grains, se soient déclarés pour l’abolition des lois sur les céréales ; mais parmi les laboureurs, les simples journaliers, le mécontentement est unanime. Ils peuvent gagner à un changement, et ils n’ont absolument rien à y perdre. Pourquoi défendraient-ils les lois sous l’empire desquelles ils sont descendus à cet état de dégradation dont aucun autre peuple libre en Europe ne présente le spectacle ?

Les journaux conservateurs ont rendu compte des nombreux meetings qui ont été tenus dans les comtés, soit pour sommer les députés trop libéraux de donner leur démission, soit pour recevoir le serment prêté au système protecteur par les députés fidèles, soit même pour écouter les lamentations du duc de Richmond, et pour faire un autodafé solennel de quelque numéro du Times. De pareilles solennités peuvent exercer de l’influence sur les décisions de la chambre des communes, et déterminer par exemple des membres scrupuleux ou timorés à abandonner leur poste ; mais elles ne détourneront pas le courant de l’opinion publique. Les hommes qui assistent à ces réunions