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combinaison, pour éviter d’être un embarras et un obstacle, la ligue a pris une attitude expectante. Après avoir pourvu à toutes les éventualités par l’ouverture de cette magnifique souscription que les manufacturiers de Manchester ont remplie dans une soirée jusqu’à concurrence de 15,000,000 de francs, elle a suspendu ses réunions publiques. M. Cobden et M. Bright ont laissé la parole aux évènemens. Le théâtre de l’agitation, la salle de Covent-Garden, a été rendue aux amusemens de la saison. Toute polémique a cessé, et l’on met ce repos à profit pour resserrer, dans l’intérieur du parti, les liens un peu relâchés de la discipline.

En attendant, les manufacturiers, qui forment le conseil exécutif de la ligue, ont pris individuellement, mais sous une inspiration commune, une résolution qui va les réconcilier tout-à-fait avec les classes inférieures. On sait que les ouvriers des manufactures, loin de s’associer à l’attaque dirigée par les organes de la bourgeoisie contre les privilèges dont jouit la propriété foncière, avaient protesté, à plusieurs reprises, de leur indifférence profonde pour ce mouvement. Bien peu d’entre eux, en effet, comprennent la différence de situation qui résulte pour un ménage laborieux du bon marché des alimens, et ils ne s’inquiètent généralement que de la hausse ou de la baisse des salaires. L’aristocratie, avec laquelle ils ne sont pas habituellement en contact, ne saurait froisser leurs intérêts immédiats, ou leur devenir odieuse. La domination qu’ils supportent avec impatience, c’est celle du maître qui les emploie. Voyant se former sous leurs doigts les richesses que l’industrie accumule, ils finissent par croire que les profits de cette industrie se répartissent d’une manière trop inégale entre le capital et le travail. De là les coalitions qu’ils trament entre eux, tantôt pour obtenir une augmentation dans le prix de la main-d’œuvre, tantôt pour amener une réduction dans le nombre des heures que dure la journée.

Sur ce dernier point, celui que les ouvriers ont le plus à cœur, les chefs de la manufacture sont prêts à faire les concessions que réclame l’opinion publique. Ils ont déclaré qu’aussitôt après l’abrogation des lois qui concernent les céréales, la durée du travail dans les usines et dans les ateliers serait réduite à onze heures par jour. L’expérience de quelques-uns d’entre eux, et notamment de la maison Gardner, à Preston, autorise à penser que la quantité des produits ne diminuera pas dans la proportion des heures retranchées au travail, et que les salaires garderont, à peu de chose près, le même niveau ; mais en revanche la santé des femmes et des jeunes gens, la moralité des ménages