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fractions de l’aristocratie, les whigs comme les tories, sont accourues pour empêcher, en concédant la réforme réclamée par la ligue, que le gouvernement du pays ne passât tout-à-fait dans ses mains.

Je sais que les circonstances ont favorisé et hâté le succès de l’agitation. Le déficit de la récolte, la perspective menaçante d’une famine en Irlande, le mécontentement des ouvriers en Angleterre, voilà sans doute le plus formidable argument que l’on puisse invoquer contre le monopole des subsistances ; mais cet état de choses n’aurait pas suffi pour déterminer la chute définitive du système protecteur. L’Angleterre s’était déjà trouvée plus d’une fois aux prises avec les difficultés d’une disette, et chaque fois la suspension temporaire des lois sur les céréales y avait pourvu. Le danger passé, la protection reprenait son empire ; les propriétaires fonciers recommençaient à rançonner le peuple, et le gouvernement se rendormait.

Il est certain qu’en ouvrant les ports du royaume aux grains étrangers, sir Robert Peel aurait pu, pour quelque temps, conjurer le mécontentement général. Les mauvais résultats de la récolte n’ont pas décidé les hommes publics, mais leur ont servi de prétexte et d’excuse pour colorer un changement de conduite. Supposez que la ligue n’eût pas existé, ou qu’elle n’eût pas fait les mêmes progrès dans la confiance des électeurs, toutes choses restant d’ailleurs égales, la pomme de terre manquant à quatre millions d’Irlandais, et le prix du pain ayant augmenté d’un quart ou d’un tiers en Angleterre, lord John Russell aurait-il écrit sa lettre aux électeurs de Londres, et, sir Robert Peel aurait-il provoqué une crise ministérielle aux dépens de l’union qui régnait dans sa majorité, afin d’étendre le principe de la liberté commerciale jusqu’à ces régions de l’intérêt aristocratique, d’où il l’avait tenu jusqu’alors soigneusement écarté ?

Évidemment ce n’est pas une de ces convictions désintéressées qu’impose l’amour purement contemplatif de la science, c’est la raison d’état qui a parlé. Le chef des whigs a passé du côté de la ligue, à laquelle il apporte l’autorité de son nom et le concours d’un grand parti politique, quand il a vu que cette agitations prenait le caractère d’une lutte acharnée entre l’intérêt manufacturier et l’intérêt agricole, et que les gens de Manchester étaient devenus assez forts pour donner le signal d’une guerre intestine entre les diverses classes de la société. Il est venu diriger le mouvement pour rester maître de le modérer et de le rendre moins exclusif. Quant au chef auquel appartient la direction du parti conservateur, il a jugé bien vite, avec la sûreté habituelle de son coup d’œil, que, s’il permettait à lord John