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la main sur cette arche sainte de la propriété foncière. Désespérant d’agir par l’opinion sur le parlement, la ligue résolut de s’adresser au corps électoral.

En 1834, sir Robert Peel, chef d’un parti vaincu, avait conseillé à ses amis d’user dans leur intérêt, et contre leurs adversaires, des droits que l’acte de réforme leur conférait. La ligue s’est approprié ce mot d’ordre : à l’exemple des conservateurs, elle enrôle les électeurs par centaines. Une chaumière qui représente un loyer de quarante shillings donne le droit de voter aux élections de comté ; quiconque possède un capital de soixante livres sterling, un fils de famille, un commis, un ouvrier même peut acquérir ainsi le suffrage. La population urbaine va prendre droit de cité dans les campagnes, et l’épargne, qui n’était jusqu’à présent qu’une source d’aisance, mène enfin à l’indépendance politique. C’est l’avènement d’une classe nouvelle, c’est presque un changement dans la constitution.

Les opérations électorales de la ligue ont été dirigées avec une telle activité, que, dès la première année de ce travail et en agissant sur les listes urbaines, elle avait déplacé la majorité dans trente-deux bourgs. Restaient les comtés, qui sont la citadelle de l’aristocratie territoriale. La ligue en a envahi neuf, les plus considérables par la population et par la richesse, Middlesex, Lancastre, Warwik, Stafford, Chester, York, Gloucester, Somerset et Surrey, représentant 143,000 votans, ou le tiers des électeurs ruraux dans l’Angleterre proprement dite. Dans ces collèges, elle a conquis en deux ans une majorité claire et nette de 16,446 voix[1]. Par ce seul fait, l’ascendant du parti conservateur était remis en question. Faut-il s’étonner si les journaux tories ont sonné l’alarme, et si la coterie des ducs, lâchant la bride aux sociétés d’agriculture, a voulu en faire encore une fois des agences électorales ?

C’est des conquêtes de la ligue en matière d’élections que date réellement son influence. Jusque-là, comme l’a dit spirituellement M. Sidney Herbert[2], elle ressemblait un peu à une armée de théâtre, faisant constamment parader les mêmes acteurs. On entendait le bruit, mais on doutait du nombre. L’incrédulité s’est dissipée à la publication des listes électorales. Quand on a vu tout le chemin que la ligne avait parcouru en si peu de temps, on a compris qu’une puissance jusqu’alors inconnue à l’Angleterre venait de se révéler, et les deux

  1. Discours de M. George Wilson à Manchester, décembre 1845.
  2. Chambre des communes, séance du 9 janvier.