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nom de la Ligue elle-même, chaque semaine, des milliers d’adresses et de brochures sont répandus d’un bout du royaume à l’autre. En 1843, le chiffre total de ces envois s’est élevé à neuf millions de brochures pesant ensemble deux cent mille kilogrammes. En 1845, le journal the League a publié un million d’exemplaires, et le conseil a dépensé, en publications de toute espèce, une somme de 20,000 liv. st.

La parole n’a pas été moins active que la presse. En 1843, selon M. Fonteyrand, qui a puisé ce renseignement à bonne source, quatorze orateurs avaient parcouru, au nom de la ligue, cinquante-neuf comtés, et y avaient prononcé plus de six cent cinquante discours publics. Dans les derniers mois de 1845, et sans parler des nombreuses réunions qui eurent lieu dans la métropole, M. Cobden et M. Bright avaient harangué la foule avide de les entendre, à Birmingham, Blackburn, Barnley, Halifax, Huddersfield, Leeds, Sheffield, Wakefeld, Preston, Glocester, Bristol, Stroud, Bath, Nottingham, Derby et Wootton-under Edge. Soixante meetings avaient en outre été tenus dans les villes principales pour réclamer, dans la perspective de la disette qui s’annonçait, le libre commerce des grains. A aucune époque, l’esprit humain n’avait fait, pour une cause, si grande qu’elle fût, de tels frais de logique et d’éloquence.

Dans l’intervalle et comme en se jouant, la ligue semait les institutions utiles. Elle bâtissait à Manchester un immense édifice, un temple élevé à la liberté commerciale, qui peut contenir dix mille personnes, et où l’industrie manufacturière tient déjà ses assises. Elle prenait l’initiative de ces expositions de l’industrie, que l’Angleterre ignorait, et qui, d’abord inaugurées à Manchester en 1842, se sont renouvelées à Londres avec le même succès en 1845. Enfin, ne trouvant pas une grande sympathie auprès du clergé de l’église anglicane, qui vit de la dîme levée sur les fruits du sol, et qui dépend par conséquent de la propriété foncière, la ligue convoquait à Manchester un concile des ministres dissidens, et faisait bénir par eux, comme une autre croisade, cette levée de boucliers des villes contre les campagnes, de la bourgeoisie industrielle contre l’aristocratie.

Il y a loin encore de l’agitation au pouvoir, même dans les gouvernemens les plus populaires. La ligue avait beau inspirer l’opinion publique : sa voix, obéie à Manchester, écoutée dans toutes les villes manufacturières, expirait à la porte du parlement. La chambre des communes, la chambre qui était le produit du bill de réforme, provoquée chaque année, car la motion de M. Villiers, à modifier les lois sur les grains, avait constamment refusé, à une immense majorité, de porter