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gîte aérien. Il nous reçut d’un air dur, soupçonneux, et c’est à peine s’il crut nécessaire d’employer quelques formules de politesse en nous conseillant de chercher un logement préférable à la petite chambre qu’il disait pouvoir seule nous offrir. Tel ne semblait pas être l’avis de la jeune gouvernante du padre, belle Sicilienne au teint brun, à la taille cambrée, aux yeux noirs étincelans, qui nous examinait avec une curiosité mal déguisée. Malheureusement elle ne fut pas consultée, et il fallut chercher fortune ailleurs. Après bien des courses inutiles, Artese finit par découvrir, à un premier étage où l’on arrivait à l’aide d’une trappe et d’une échelle, deux petites chambres éclairées par de prétendues fenêtres sans carreaux, et un cabinet parfaitement obscur. En mettant en réquisition tous les meubles disponibles du village, il parvint à réunir trois chaises et deux tables, mais pas un chevalet, pas une planche, et cette fois nos matelas furent tout simplement étendus sur le sol. Cette première difficulté vaincue, notre factotum reprit son rôle de cuisinier et s’occupa des vivres. Ici il ne fut guère plus heureux que pour le logement, car pendant notre séjour à Santo-Vito, à l’exception d’une vieille poule qu’une cuisson des plus prolongées eut grand’peine à ramollir, notre nourriture se composa exclusivement d’œufs et de cacio-cavallo.

On voit que tout n’était pas jouissance dans notre expédition. Certes, il n’y avait pas grand mérite pour M. Blanchard et pour moi à supporter gaiement ce que notre genre de vie présentait de pénible : nous étions jeunes et avions à gagner nos épaulettes ; mais lorsqu’un homme de l’âge de M. Milne Edwards, que vingt ans de travaux d’une importance incontestée ont élevé aux premières positions scientifiques, renonce au comfort de son cabinet sans autre but que de tenter des recherches nouvelles ; lorsque, ne pouvant espérer pour récompense de son travail que les résultats de ce travail même, il s’expose volontairement aux fatigues, aux privations que nous avons endurées, il faut bien le reconnaître, cet homme donne à la science la preuve irrécusable d’un dévouement peu commun, et, si sa parole en acquiert plus d’autorité, qui donc aura le droit de se plaindre d’une influence si honorablement conquise ?

Au reste, il faut le dire, toutes ces petites misères étaient bien vite oubliées lorsqu’elles nous valaient d’amples matériaux d’étude ; mais à Santo-Vito cette juste compensation nous manqua trop souvent. Le vent, qui chassait une pluie glacée jusque sur nos tables de travail, poussait des vagues furieuses contre ces côtes ouvertes de toute part, et nos petites bêtes, entraînées ou contraintes de trouver un refuge