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vastes landes arides se rattachant sur la droite aux flancs décharnés du mont Inici. Tout à coup, à un coude du chemin, nous nous arrêtâmes frappés d’admiration. À un quart de lieue de distance, au centre de ce désert, qui semble avoir toujours échappé à l’activité humaine, se montrait, posé sur une haute colline comme sur un piédestal, un des plus magnifiques monumens de l’art antique Le temple de Ségeste était sous nos yeux.

L’archéologie ne nous apprend rien de certain sur cet admirable, édifice Était-il consacré à Vénus, à Cérès ou à Diane ? L’histoire et la tradition sont muettes sur cette question. Était-il placé dans l’enceinte de la ville ou en dehors des murs ? On l’ignore également. On n’en sait guère plus sur l’époque de la fondation ; mais le caractère général de l’architecture, qui, tout en rappelant celle des temples de Paestum, présente quelque chose de plus rude et de plus grossier, semble accuser une plus antique origine, et quelques historiens ont fait honneur de sa fondation tantôt aux Troyens échappés à la ruine de leur patrie, tantôt aux Elymes, un des peuples qui les premiers habitèrent la Sicile. Si ces conjonctures sont vraies, la conservation entière de ce monument contemporain des premiers temps historiques n’en est que plus merveilleuse. Pas une seule de ses trente-six colonnes, de près de trente pieds de haut, de plus de six pieds de diamètre, n’a chancelé sur le dé qui lui sert de piédestal. Pas une pierre ne s’est détachée de cette corniche toute simple qui couronne l’édifice de sa large saillie. À peine quelques frêles graminées, quelques fenouils en arbrisseaux, quelques chamœrops aux feuilles étalées en éventail, ont-ils poussé sur ces frontons tout unis ou dans les fentes étroites qui séparent ces blocs solides aux arêtes encore vives, comme si l’ouvrier venait de les tailLer. Le seul signe de vétusté peut-être se trouverait dans cette teinte générale qu’ont avivée les étés de plus de trente siècles, et qu’on ne saurait reproduire qu’avec la terre de Sienne brûlée ou le rouge de mars.

De quelle indignation douloureuse ne doit pas être saisi l’artiste qui, arrivé en face de cet auguste monument des ages passés, le trouve défiguré comme à plaisir par la sotte vanité d’un contemporain ! Quelques atterrissemens avaient engravé le bas de l’édifice : le roi Ferdinand fit enlever les terres qui cachaient le soubassement et le pavé ; puis il voulut immortaliser le souvenir de cette royale munificence, et une longue plaque de marbre d’un blanc sale, posée comme une énorme tache au beau milieu du fronton, étale en lettres à demi dédorées cette inscription fastueuse : FERDINANDI I REGIS AUGUSTISSIMI PROVIDENTIA