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les Romains, — Grégoire VII et l’Italie, -l’inquisition et l’Espagne, — la ligue, Richelieu et Louis XIV en France, — enfin Napoléon. Au Nord, la descendance du principe de liberté s’établit par Arminius, — la féodalité hiérarchique, — Wycliffe en Angleterre, — Luther en Allemagne, — Nassau en Hollande et dans les Pays-Bas, — le puritanisme et Cromwell en Angleterre, — Washington et l’Amérique septentrionale. Au milieu de ces groupes en contraste, la figure de deux pontifes religieux se laisse apercevoir : celle de Grégoire VII, qui établit dans le Midi le principe de l’autorité sur le catholicisme, et celle de Cromwell, plantant au Nord le drapeau de la liberté sur le protestantisme. Ces deux figures sont vraiment colossales, et quand un des esprits les plus lumineux de ce temps, M. Villemain, les a choisies pour sujets de ses études, on n’a pas assez rendu justice à ce qu’il y avait de profond dans ce double choix.

Le meneur et le dictateur qui a donné une forme et une réalité à la révolte protestante du Nord, c’est Cromwell, qui lui a assuré l’empire. La ligue du Nord, que W. Temple avait essayée, que Guillaume III avait régularisée, que les mains de Burke et de Pitt ont consolidée, a eu cet homme pour grand moteur, et l’apparition singulière d’un Mahomet protestant est un des plus curieux spectacles du monde moderne.

Après avoir conquis la réalité du pouvoir, comment Cromwell en usera-t-il ? Quelle direction donnera-t-il à la politique de l’Angleterre, qui se trouve dans ses mains ? Le chef de parti, le guerrier et l’homme nous sont connus, le roi nous reste à étudier ; c’est ce dont nous nous occuperons bientôt. Ce qui demeure acquis à l’histoire, c’est la sincérité fondamentale de Cromwell. Nous ne discutons ici ni les actes de sa vie, ni la valeur de sa cause. Rien n’a plus contribué à défigurer le portrait de ce fataliste déterminé que l’horreur du XVIIIe siècle pour le fanatisme. Du fanatique on a fait un hypocrite. Lequel vaut le mieux ? Assurément c’est le fanatique ; il a pour lui force et sincérité. L’hypocrite complet ne réussit à rien. Ce n’est point avec un masque, même porté habilement, que l’on dompte et domine les hommes ; c’est par une grande conviction soutenue d’énergie et servie par la ruse. Napoléon, qui a souvent trompé les hommes, avait sa foi, sa religion, sa croyance. Il croyait au génie humain représenté par le calcul ; il avait la foi de l’algèbre, celle du progrès et de la civilisation. Il est bon que le monde sache que la ruse n’est pas seule maîtresse, et que, pour conduire ou séduire l’humanité, il ne suffit pas du mensonge.


PHILARETE CHASLES.