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Thomas Brown. L’humorisme est la forme définitive, la forme sans forme de cette indépendance ridicule, lorsqu’elle n’est pas souverainement féconde dans sa sauvage et impétueuse allure.

Je ne crois pas que jusqu’ici on eût appliqué à l’histoire cette méthode discursive. Carlyle lui-même, en s’attaquant à la révolution française, avait été forcé de s’astreindre au cadre des évènemens. L’histoire a une méthode dont elle ne peut pas se dégager ; elle se meut dans le temps, qui a ses limites, et dans l’espace, qui a les siennes. Carlyle s’était donc rejeté, en traitant la révolution française, sur les tableaux, les scènes, les portraits, la recherche des effets lointains et des causes secrètes. Cette fois il a été plus loin, et il a tenté une méthode nouvelle, l’histoire humoristique. On a vu ce qu’il a inventé, et comment son livre, mauvais en soi, précieux et bizarre, n’est nullement une histoire, on le pense bien.

Cromwell, après tout, ressort plus terrible de ce travail incomplet. On le voit auteur définitif de la scission protestante et armée du Nord, scission commencée par les Nassau et par Luther, mise en train par Élisabeth. À ce titre, Cromwell est un des plus grands noms modernes. Il se place, comme Charlemagne et Grégoire VII, au centre d’un mouvement politique immense qu’il assure et qu’il fait triompher. Dans son admiration pour cette cause, Carlyle oublie toute justice. Odin, Cromwell, Mahomet, incarnations d’une de ces pensées qui font tourner le monde sur son axe, sont pour lui des dieux. Comme les idolâtres, il devient aveugle ; comme les fanatiques, il devient féroce. Il n’a point de larmes pour les victimes, il n’a point de pitié pour ce qui est détruit.

Il semble que l’on n’ait pas remarqué les explosions successives de l’esprit du Midi et de celui du Nord, qui ont pour représentans des héros différens. Au moyen-âge, Charlemagne représente et établit le génie féodal du Nord. Après lui et par révulsion, Grégoire VII rétablit et étend le principe méridional de l’autorité ; ensuite éclate le même principe catholique en Espagne, avec l’inquisition et Isabelle-la-Catholique ; il passe en France avec la ligue et s’établit, non sans restrictions, sous Louis XIV. Puis se fait jour de nouveau le principe de la liberté du Nord qui s’était révélé sous sa forme religieuse et germanique avec Luther et qui reparaît terrible avec Cromwell : Cromwell est l’action de Luther. Enfin règne Guillaume III, l’administrateur de la même croyance, le dernier venu. Quant à Napoléon, c’est le continuateur du principe de l’autorité.

La généalogie du principe de l’autorité s’établit donc au Midi par