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seulement distinctes des idées, un doute est possible sur la conformité parfaite des idées avec les choses ; l’essence des êtres est soupçonnée, entrevue : elle n’est pas saisie, atteinte dans son fond. C’en est donc fait de la science absolue, s’il n’y a pas identité entre les idées et les choses.

La science absolue doit partir d’une première idée et en déduire toutes les autres. Quelle peut être cette idée ? La plus compréhensive et la plus vague de toutes, l’idée de l’être indéterminé. Mais comment passer de l’être indéterminé à l’être réel, de l’abstrait au concret, du néant de l’existence à la vie ? Il y a là une contradiction. Eh bien ! au lieu de la dissimuler, acceptons-la hardiment. La contradiction est à l’origine des choses : que cette contradiction primitive devienne la loi fondamentale de la pensée et de l’être, qu’elle se retrouve dans toute la nature, qu’elle soit la force cachée par qui les idées sortent les unes des autres depuis la plus pauvre jusqu’à la plus riche, de sorte qu’en définitive le néant soit le principe, Dieu le terme, et que le néant devienne Dieu.

Mais comment l’esprit humain pourra-t-il connaître et décrire cette vaste et merveilleuse évolution ? A une seule condition, c’est que l’esprit humain soit le degré supérieur où tout aboutit, le dernier cercle qui enveloppe et pénètre tous les autres ; à condition que l’esprit humain soit tout, que l’homme soit Dieu. L’homme divinisé, voilà le dernier mot de la philosophie allemande.

Schelling dit que Dieu, c’est le sujet-objet absolu ; Hegel, que c’est l’idée, l’esprit infini. Mais il faut bien s’entendre. Le sujet-objet, considéré avant son développement, n’est qu’une abstraction, une identité vide. J’en dis autant de l’esprit infini, de l’idée en soi. Hegel lui-même déclare que l’idée en soi est identique au néant. Si c’est là Dieu, il faut s’expliquer avec franchise ; mais non : le Dieu de la philosophie allemande n’est pas au commencement des choses, il est à leur terme. Ce Dieu, c’est l’esprit humain, ou plutôt Dieu est à la fois à l’origine, au terme et au milieu, ce qui revient à dire qu’il n’y a pas de Dieu distinct des choses.


Ces étranges doctrines, à défaut de mérite plus solide, ont-elles du moins celui de la nouveauté ? C’est encore là une des illusions de la philosophie germanique.

Rien de plus naïf que les prétentions de nos voisins d’outre-Rhin en fait d’originalité. Dans l’école hégélienne en particulier, on les a portées à leur comble. Hegel ne reconnaît en ses Leçons sur l’histoire de la philosophie que deux grandes époques, l’époque grecque et l’époque