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la science absolue ; mais c’est dans le moi qu’il se flatte de la trouver. Il supprime comme Kant les choses, mais il en conserve les idées et prépare la transformation future qui, de ces idées, va faire les choses elles-mêmes.

Ainsi, Fichte, Schelling, Hegel, et on peut ajouter à ces noms éminens ceux de tous les philosophes de la moderne Allemagne, ont ce point commun au sein des différences qui les séparent : c’est de croire que la science absolue est possible, c’est de la chercher, c’est de la construire. De là leur méthode commune, aussi chimérique, aussi vaine que l’objet qu’elle poursuit. Son trait distinctif, c’est la suppression de l’expérience ou du moins la subordination complète de l’expérience aux données de la raison pure. L’Allemagne a le plus parfait mépris pour l’observation. Tenir compte des faits, c’est à ses yeux tomber dans l’empirisme, dernier degré de l’abaissement intellectuel. La science est essentiellement l’explication des choses ; or, l’expérience n’explique rien ; la science en expliquant démontre, l’expérience ne saurait rien démontrer. L’expérience est enfermée dans des limites nécessaires ; elle sait ce qui arrive en tel temps, en tel lieu ; la science veut des résultats universels et durables ; l’expérience est l’ouvrage d’un esprit fini, et partant elle est toujours relative et toujours subjective ; la science est absolue et objective par essence.

Évidemment, si la philosophie poursuit la science absolue, la méthode philosophique, c’est la méthode a priori, fondée sur les idées pures, suivant l’ordre des choses, expliquant tout, déduisant tout, méprisant l’expérience, ne reconnaissant aucune limite, aucune condition. A une telle science il faut une telle méthode ; ces deux chimères sont faites l’une pour l’autre.

Si je ne m’abuse, le secret de toutes les spéculations allemandes est là : le principe de l’identité de la pensée et de l’être, commun fondement du système de Schelling et de celui de Hegel, le principe plus dangereux encore de l’identité des contradictoires dont la logique hégélienne est une perpétuelle application, enfin cette idée éminemment panthéiste du processus des choses qui fait de l’esprit humain le terme suprême où les développemens successifs de l’existence viennent se concentrer et se réfléchir, tout cela nous apparaît comme autant de suites nécessaires de la double illusion que nous venons de signaler.

Pour que la science absolue soit construite, il ne suffit pas en effet que l’ordre des idées exprime l’ordre des choses, il faut que les idées embrassent, pénètrent, constituent les choses ; il faut que les idées soient les choses. Supposez, en effet, que les choses soient séparées ou