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être devient ce qu’il n’était pas. Cette idée implique à la fois celle de l’être et celle du néant ; elle en est la synthèse. Nous voilà sortis de cette abstraction confuse où tout se mêle et se perd ; nous mettons le pied sur le terrain de la réalité ; nous avons affaire à l’être déterminé, à la qualité.

Il est inutile de poursuivre cette déduction ; j’aime mieux esquisser quelques-unes des grandes applications de la logique, particulièrement celles qui se rattachent à la philosophie de l’esprit.

L’idée dominante du système de Hegel se maintient avec une fermeté singulière au sein des applications les plus diverses. Partout l’idée traverse les trois momens nécessaires ; elle est d’abord l’identité confuse des contraires ; puis elle se divise, pour rentrer finalement dans son identité primitive, éclaircie et vivifiée. Cette loi domine et éclaire la psychologie, la morale, le droit, l’histoire de la civilisation, celle des religions et des philosophies.

Il y a, nous l’avons déjà vu, trois facultés dans l’esprit humain : la sensibilité qui nous livre les idées dans leur confusion, l’entendement qui les débrouille et les oppose, la raison qui les unit.

L’homme est d’abord pour lui-même unité confuse d’une ame et d’un corps : cette unité se brise par la réflexion ; l’ame s’oppose le corps, mais elle s’aperçoit que le corps, c’est encore elle-même, et alors elle le ramène à soi comme un moment nécessaire de son existence.

Dans l’homme, tout est d’abord mêlé, l’instinct, la volonté, la raison. L’homme existe déjà sans doute dans l’enfant, mais d’une manière abstraite encore et indéterminée ; il est en soi, il n’est pas pour soi. L’âge de la réflexion arrive ; une opposition se déclare entre l’instinct et la raison, entre la nature et la volonté. De là le mal, mais de là aussi le bien. Le bien suppose le mal, car celui qui fait le bien sans effort, sous la seule impulsion d’une nature excellente, n’est pas véritablement bon. Ici se vérifie avec éclat, suivant Hegel, le principe de sa logique. On ne peut concevoir le bien sans concevoir en même temps le mal. Le bien en un sens implique donc le mal, et cependant il l’exclut. Il l’exclut et il le suppose, voilà la contradiction qu’il faut résoudre. Hegel y croit parvenir en démontrant qu’au fond l’instinct et la raison sont identiques. L’instinct, c’est la raison qui s’ignore. Après s’être opposée à elle-même dans la lutte de la volonté et de la nature, elle reconnaît leur identité, et dès-lors tout rentre dans l’ordre au sein de l’ame pacifiée ; l’instinct comprend qu’obéir à la raison, c’est être fidèle à lui-même ; la raison comprend qu’elle est faite, non pour étouffer ou comprimer l’instinct, mais pour le conduire, et cette harmonie