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bonté infinie, de la beauté pure et sans mélange, nous trouvons une sèche et monotone énumération d’idées abstraites, l’être, le néant, la qualité, la quantité, la mesure, l’identité, la différence. Rien de plus aride que cette algèbre qui ajoute à la monotonie de notions toujours indéterminées l’insupportable uniformité du procédé qui les oppose et les combine sous la loi d’une trichotomie toujours renaissante. La Somme de saint Thomas, qui comprend quelques milliers de syllogismes à la suite les uns des autres, ou, pour choisir un plus convenable exemple, les deux cents propositions corollaires et scholies de l’Éthique, sont, à côté de la logique de Hegel, des œuvres pleines de charme et de vie.

Ces abstractions et la loi qui les enchaîne constituent pour Hegel le fond des choses. Le vulgaire y voit de vaines combinaisons de l’esprit ; ce sont les véritables réalités. Quelle abstraction plus vide, à ce qu’il semble, que celle de l’être ? Tout pour Hegel en va sortir. L’auteur de la Logique semble avoir voulu accumuler ici tous les sujets de défiance et d’étonnement. D’une idée abstraite il prétend faire sortir la réalité, et comment, je vous prie ? Par l’intermédiaire d’une idée encore plus vide, celle du néant. L’idée confondue avec l’être, l’être avec le néant, le concret sortant de l’abstrait, la contradiction placée à l’origine des choses, voilà l’épreuve où Hegel ne craint pas de soumettre notre bon sens et notre patience.

L’idée de l’être est en effet la plus simple de toutes les idées ; toutes les autres la supposent, et elle n’en suppose aucune avant elle. Or, l’idée de l’être ou l’être, car Hegel identifie, ici comme toujours, ces deux choses, est identique au néant. Qu’est-ce en effet que l’être considéré en soi ? C’est l’être absolument indéterminé, ce qui n’est ni fini, ni infini, ni esprit, ni matière, ce qui n’a ni quantité, ni qualité, ni rapport. Tout cela peut s’affirmer du néant. Penser au néant, c’est faire abstraction de toutes les formes de l’existence ; c’est la même chose, par conséquent, que penser à l’être en soi. D’un autre côté, Hegel ne nie pas que l’être et le néant, ce qui est et ce qui n’est pas, ne soient deux termes contradictoires. Ils sont à la fois contradictoires et identiques. La contradiction dans l’identité, voilà la souveraine loi de la pensée et des choses.

Ainsi, du sein de l’idée de l’être, matière primitive des choses, sort l’idée du néant ; mais l’être et le néant ne restent pas en face l’un de l’autre. L’être exclut et appelle le néant ; ce double mouvement suscite une troisième idée que Hegel appelle le devenir et qui réconcilie les deux autres. Le devenir, c’est l’idée du développement par lequel un