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choses comme la série progressive des formes variées d’un principe identique. Mais comment saisir ce principe ? comment atteindre la loi de son développement ? comment la démontrer ? C’est ce que Schelling ne faisait pas.

Pourquoi ce principe se développe-t-il ? Pourquoi devient-il tour à tour pesanteur, lumière, activité, conscience ? Est-ce à l’expérience qu’on le demandera ? Mais l’expérience constate les faits, elle ne les explique pas. Dira-t-on que le sujet-objet se développe par sa nature ? On demandera quelle est sa nature, et Schelling ne la détermine en aucune façon. Il faut donc admettre ici la qualité occulte d’un principe inconnu. Que de mystères et d’hypothèses ! et à quoi tout cela sert-il ? Otez l’expérience, nul moyen n’apparaît de construire régulièrement ou même d’ébaucher la science. C’est sous le poids de cette difficulté que Schelling avait imaginé son intuition intellectuelle, faculté transcendante qui atteint l’absolu d’une prise immédiate, sans passer par les degrés laborieux de l’analyse et de la réflexion ; mais jamais Schelling n’a pu éclaircir la nature équivoque de cette intuition prétendue. Est-ce un don naturel de l’esprit humain ? est-ce un privilège ? on ne sait. Quoi de plus obscur, de plus arbitraire, de plus incompatible avec les conditions de la science ? Évidemment la philosophie allemande devait faire un pas de plus ou abandonner son principe. Ce dernier pas, Hegel le fit. Hegel a cherché, il a cru trouver une méthode pour construire la science absolue, pour a démontrer. Cette méthode, c’est la logique.


Faire connaître à des lecteurs français, même d’une manière générale, le système de Hegel, c’est, je n’hésite pas à le dire, une des plus difficiles entreprises qu’on se puisse proposer. D’abord personne ne s’est encore risqué à traduire aucun ouvrage de Hegel[1], de sorte que rien ne prépare le public ni à cette méthode étrange ni à cet étrange langage. Un écrivain consciencieux, M. Ott, esprit ferme et plein de sens, a fait, il est vrai, d’utiles efforts pour nous initier à la doctrine et à la terminologie hégéliennes[2] ; mais, tant qu’un traducteur habile

  1. L’ouvrage important publié par M. Bénard sous ce titre : Cours d’esthétique de Hegel (2 volumes in-8o), n’est pas proprement une traduction ; c’est une libre analyse.
  2. Mentionnons aussi les articles de M. Wilm dans la Revue Germanique, une dissertation étendue de M. Louis Prévost : Hegel, exposition de sa doctrine, et une thèse de M. Véra : Platonis, Aistotelis et Hegelii de medio termino doctrina.