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de la grandeur, d’autant mieux que Schelling n’a copié personne ; c’est le mouvement propre de sa pensée, c’est le courant de la philosophie allemande qui l’a conduit à la philosophie de l’identité.

Le système de Schelling en effet, bien qu’il paraisse et qu’il soit réellement une réaction extrême contre la doctrine de Fichte, en un autre sens la continue. Fichte n’admettait-il pas aussi l’identité absolue des choses ? Ne résolvait-il pas l’opposition du moi et du non-moi dans un principe supérieur ? Seulement ce principe supérieur, c’était toujours le moi, et de là le caractère idéaliste et subjectif de tout le système. Cette identité admise par Fichte, Schelling la généralise et la transforme. Elle n’est plus pour lui renfermée dans cette étroite prison du moi ; elle est le fond de toutes choses. On peut dire que Schelling a pris des mains de Fichte les cadres de sa philosophie ; mais, en les élargissant, il leur a donné une ampleur infinie. Il a fait entrer dans le système de Fichte la nature exilée ; il y a répandu à pleines mains la réalité et la vie.

Faut-il s’étonner maintenant que Fichte, à la fin de sa vie, ait incliné aux idées de Schelling ? Dans la Destination de l’homme[1], dans un autre ouvrage fort curieux, Instruction pour arriver à la vie bienheureuse[2], le système de Fichte ne se distingue plus de celui de Schelling. Le moi n’est plus ici le moi subjectif de la Théorie de la Science ; c’est le moi réel, objectif, qui communique à la nature sa propre réalité, sa propre objectivité. M. Fichte le fils, qui porte avec honneur un grand nom, s’efforce en vain de confondre ces deux choses. Sa piété filiale est assurément fort ingénieuse, mais elle ne parvient pas à dissimuler l’intervalle immense qui sépare l’idéalisme de Fichte et cette philosophie de Schelling si pleine du sentiment de la nature et de la réalité. Aussi, tandis que la doctrine de Fichte était, sauf en morale, presque stérile en applications, la doctrine de Schelling régénérait les sciences physiques et donnait une impulsion merveilleuse à l’histoire des religions, à celle de la philosophie.


Le mouvement de la philosophie allemande ne pouvait s’arrêter à Schelling. Le système de Schelling, en effet, renfermait bien un principe, mais elle ne fournissait aucun moyen de le développer scientifiquement. Qu’avait fait Schelling ? Il avait conçu l’ensemble des

  1. Ouvrage depuis long-temps traduit par M. Barchou de Penhoën.
  2. Cet éloquent écrit vient d’être traduit par M. Bouillier, avec deux introductions intéressantes, l’une du traducteur, l’autre de M. Fichte le fils. — 1 vol. ; in-8o, chez Ladrange.