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sans rigueur et sans contenu, n’a d’intérêt qu’à titre de protestation légitime.

En attaquant d’une autre manière la doctrine de Kant, Fichte ouvrait à la philosophie une nouvelle issue. De là l’intérêt supérieur de son entreprise.


Ce qui frappa surtout Fichte dans le système de Kant, ce fut le défaut de rigueur et d’homogénéité. Kant en effet, tout en refusant à l’esprit humain le droit de connaître autre chose que soi, ne conservait même pas cet avantage d’être conséquent dans l’erreur et de former un système établi sur un principe simple et bien lié dans toutes ses parties. Il reconnaissait en effet qu’il existe, par-delà les phénomènes et par-delà les lois que leur impose la pensée, des êtres, inaccessibles, il est vrai, mais réels. Le premier pas de la Critique de la liaison pure, c’est de constater que rien ne se produit dans la pensée que par l’expérience, par les phénomènes des sens. Or, ces phénomènes que l’esprit rencontre et qu’il ne produit pas supposent un principe étranger. Étrange concession ! Quoi ! la science a pour infranchissable enceinte l’esprit humain, le sujet, et cependant il existe autre chose, et la première condition de la science est de supposer un objet qu’elle ne connaît pas, qu’elle ne peut atteindre, et qui est l’origine de tout ! La science débute donc par une hypothèse, et par une hypothèse contradictoire à sa nature. La science a son principe hors d’elle, ou plutôt elle n’a pas de principe, elle n’est pas.

Cette rigueur et cette homogénéité parfaites, qui faisaient défaut dans le système du maître, c’est ce que chercha avant tout le disciple. De là, sa fameuse Théorie de la Science. Ici, le principe de Kant est poussé à sa dernière conséquence. Plus d’élément objectif supposé arbitrairement ; tout est sévèrement déduit d’un seul terme de la connaissance, du sujet. Le problème pour Fichte est celui-ci : tirer du moi la philosophie tout entière, et l’audacieux analyste prétend donner à cette déduction toute la rigueur des mathématiques. Celles-ci supposent en effet la loi de l’identité, qui s’exprime ainsi : A = A. Fichte n’en demande pas davantage ; il ne réclame qu’une donnée primitive Moi = Moi.

C’est sur cette pointe aiguë qu’il prétend faire reposer l’édifice entier de l’esprit humain. La nature et Dieu ne sont que des développemens du moi. Le moi seul est principe, expliquant tout, posant tout, créant tout, étant tout, s’expliquant, se posant, se créant lui-même. Il faut également admirer ici l’excès d’extravagance de l’esprit humain