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grandeur, et, si on la compare aux autres philosophies contemporaines, nul doute qu’elle ne les éclipse, soit par le nombre des hommes de génie qu’elle a enfantés, soit par l’impulsion forte et rapide qu’elle a donnée à la pensée humaine.

Tant d’ardeur et de fécondité ne l’a pas préservée de la commune loi. Tout mouvement philosophique a un orbite qu’il est destiné à parcourir : la philosophie allemande paraît avoir atteint le terme du sien. Où se formera le foyer nouveau de la pensée européenne ? L’avenir seul peut résoudre ce problème ; mais il est glorieux pour la patrie de Kant qu’aucun développement considérable d’idées ne puisse désormais se constituer que sous une condition, c’est de s’assimiler tout ce que la philosophie allemande a produit de substantiel dans sa rapide et brillante carrière. Essayons de concourir pour notre part à ce travail d’assimilation en jetant quelque lumière sur ces systèmes si célèbres et pourtant si mal connus ; attachons-nous à leurs principes fondamentaux ; cherchons le trait qui les caractérise, le lien qui les unit, la méthode qui en gouverne le développement et en mesure la valeur.

Parmi les publications récentes dont nous comptons nous servir librement pour l’exécution de ce dessein, nous signalerons tout-à-fait à part l’esquisse forte et brillante que vient de nous donner M. de Rémusat[1]. L’auteur des Essais de Philosophie avait déjà beaucoup fait pour préparer la France à l’intelligence des doctrines allemandes en écrivant sur Kant, avant la publication de travaux plus complets, un morceau vraiment éminent par la précision lumineuse et la rare exactitude de l’analyse. Aujourd’hui M. de Rémusat, avec un zèle que rien ne rebute et une souplesse d’esprit admirable, passe d’Abélard à Hegel, des ténèbres de la scolastique à celles de la Germanie, et, portant partout avec soi l’heureuse vivacité d’un esprit qui sait tout animer et tout éclaircir, il nous développe beaucoup plus profondément qu’on ne l’avait fait encore l’enchaînement intérieur des quatre grands systèmes qui constituent la philosophie allemande, ceux de Kant, de Fichte, de Schelling et de Hegel. Ces noms illustres, en y joignant celui de Jacobi, sont les mêmes auxquels se sont attachés les auteurs des deux mémoires récemment couronnés par l’Académie des sciences morales et politiques[2]. Nous imiterons ces exemples.

  1. Dans l’introduction qui précède son Rapport à l’Académie des sciences morales et politiques, mentionné plus haut.
  2. M Wilm a obtenu le prix, M. Fortuné Guiran une mention très honorable. On annonce comme prochaine la publication de l’ouvrage de M. Wilm, qui comprendra quatre volumes.