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Les étrangers nous reprochent avec raison d’avoir depuis long-temps négligé la mémoire de cet intrépide pionnier qui porta quelquefois dans ses travaux l’intuition du génie. Est-ce ingratitude de notre part ? est-ce oubli des services rendus ? Non : mais, quand les honteuses faiblesses du gouvernement de Louis XV nous eurent fait perdre d’un trait de plume toutes nos vastes possessions de l’Amérique du Nord, la France, cruellement froissée, détourna les yeux de ses anciennes conquêtes, et ne chercha pas à conserver les souvenirs glorieux d’une époque que fermait si tristement le déplorable traité de 1763. Peut-être Robert de La Salle eût-il attendu long-temps un retour de justice si ceux qui ont hérité du fruit de ses découvertes n’eussent été conduits par leurs intérêts même à rassembler les élémens de sa vie et de ses voyages. Un Américain, M. Sparks, a écrit son histoire ; un Anglais, M. Thomas Falconer, vient de publier à Londres des mémoires originaux et inédits avec un récit de ses voyages au cœur de l’Amérique. Ces mémoires restaient ignorés dans les cartons du ministère de la marine ; ils sont extrêmement curieux et jettent un grand jour sur les développemens de notre puissance d’outre-mer.

On ne sait rien ni sur la famille de Robert de La Salle, ni sur l’époque de sa naissance ; on sait seulement qu’il naquit à Rouen, qu’il fut élevé dans un séminaire de jésuites, et qu’il émigra de bonne heure pour le Canada. Durant les premières années de son séjour dans la colonie, il se fit remarquer par son caractère entreprenant et par quelques expéditions courageuses. Il revint plusieurs fois en France ; les rapports des gouverneurs du Canada l’avaient recommandé au ministre de la marine. En 1675, il reçut le gouvernement et la propriété du fort Frontenac, construit en 1672 sous le nom de fort Cataraqui. Au mois de mai 1678, il fut commissionné pour entreprendre la découverte du Mississipi. Cette entreprise, heureusement conduite, devint son principal titre de gloire. Il quitta La Rochelle le 14 juillet 1678, et le 15 septembre il débarqua à Québec. Il avait emmené avec lui un compagnon fidèle, Henri de Tonty, qui nous a laissé un mémoire sur ses travaux et des détails sur sa mort tragique.

Aussitôt après son arrivée, La Salle s’occupa de préparer l’expédition dont il était chargé. Il se rendit à Niagara, afin d’y construire un petit navire. On le nomma le Griffon en l’honneur du comte de Frontenac, gouverneur de la colonie, qui portait un griffon dans ses armes. Le 7 août 1679, La Salle mettait à la voile sur le lac Erié. Diverses contrariétés entravèrent son entreprise ; après avoir été obligé de quitter son navire, il essaya vainement de le rejoindre ; il revint à Frontenac sur la glace, suivi de cinq hommes, pour chercher des informations. Nous le voyons se consumer en vaines démarches pendant la dernière partie de l’année 1680 et la première de l’année 1681. Enfin il repartit de Frontenac le 28 août 1681, après avoir fait son testament. Cet acte, dont le texte est publié par M. Falconer, avait eu jusqu’à ces derniers temps une importance historique. En le rapprochant des lettres écrites par La Salle en 1683, on pouvait s’en servir pour déterminer la date