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Petchorin, la violente et inculte nature de Grouschnitski, la brillante coquetterie de la jeune princesse, révèlent chez Lermontoff un véritable talent d’observateur. Aussi ce roman mérite-t-il de rester comme une étude fort incomplète sans doute, mais très intéressante, sur quelques types peu connus de la société russe au XIXe siècle.

Le roman de Lermontoff n’a pas seulement l’intérêt d’une piquante esquisse de mœurs ; il y aurait à débattre à propos de ce livre une curieuse question littéraire, à décider jusqu’à quel point l’influence de Byron et de Goethe a pénétré dans cette jeune littérature, dont Pouschkin demeure encore aujourd’hui le plus glorieux représentant. Nulle part mieux qu’en Russie on ne peut juger les différences qui existent entre le génie du Nord et le génie slave ; ces différences éclatent même dans les œuvres trop communes où l’imitation se fait sentir, et où le poète s’est le plus visiblement inspiré des muses étrangères. Nous n’en voulons d’autre preuve que ce roman de Lermontoff. Même aux pages les plus décidément byroniennes, aux endroits où l’ironie en lutte avec la passion se fait la plus large part, on reconnaît encore l’exaltation du génie slave, sa fougue généreuse et ses mystiques ardeurs. Ce n’est pas là le hardi blasphème et le doute incurable du poète anglais ; c’est une exagération de scepticisme qui déguise mal la plaie cachée, et dans la gaieté fiévreuse du conteur une douloureuse émotion se trahit. On se prend alors à regretter que tant de sève originale se perde ainsi en impuissans efforts. Cette déclamation forcenée contre la Providence, contre la société, contre la vertu, fatigue à la longue, malgré l’énergique talent qui s’y révèle. On voudrait voir l’écrivain s’abandonner plus complètement à sa riche nature, et on se demande si, en acceptant avec docilité la vivifiante influence du génie national, il ne mériterait pas une place plus glorieuse qu’en se faisant l’écho de la mélancolie britannique.


LIFE OF LA SALLE, by M. SPARKS OF CAMBRIDGE ; Massachusets. — ON THE DISCOVERY OF THE MISSISSIPI ; by Thomas Falconer : London. — Les contestations territoriales qui ont surgi entre les États-Unis et l’Angleterre ont appelé l’attention des deux pays sur les sources même de leurs titres, sur les découvertes primitives, sur les droits des nations dont ils sont aujourd’hui les héritiers. Cette étude des origines a remis en lumière les travaux d’un de nos compatriotes, Robert Cavelier de La Salle, dont nous avions presque oublié le nom. Cependant c’était son audace intelligente qui nous avait ouvert les belles vallées du Mississipi, et frayé devant nous toute la partie méridionale du continent de l’Amérique du Nord. Il découvrit le premier le cours du grand fleuve indien ; il le descendit depuis le Canada jusqu’à la mer. Il fut aussi le premier qui partit des côtes de France pour aller reconnaître dans le golfe du Mexique l’embouchure du Mississipi. Le but de ce dernier voyage ne fut pas atteint ; La Salle se porta trop vers l’ouest, et laissa le fleuve derrière lui ; mais son débarquement au Texas n’en a pas moins eu une influence considérable sur les établissemens français.