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ils présentèrent alors un spectacle affligeant, et, quand on songe aux humiliations de tout genre que les ordres du clergé et de la noblesse firent chaque jour subir aux députés du tiers-état, dont l’inviolabilité même n’était pas respectée, on a besoin d’évoquer d’autres souvenirs et de se rappeler que les états de 1614 eurent pour successeurs immédiats les états de 1789. Depuis 1614, en effet ; la royauté éprouva une répugnance invincible à convoquer ces assemblées, tant elle redoutait de voir arriver l’heure fatale où, comme l’avait alors prédit le président Miron, « l’enclume devait enfin devenir marteau. »

L’histoire chronologique des états-généraux occupe une très grande place dans les ouvrages de MM. Boullée et Rathery. La tâche des auteurs avait été rendue facile par les nombreuses publications faites sur ce sujet depuis 1788. Il faut reconnaître toutefois que M. Rathery a consulté avec soin les sources originales, tandis que M. Boullée s’est borné la plupart du temps à recourir aux historiens modernes ou à des écrivains tombés depuis long-temps en discrédit, comme Anquetil et Velly. Tous deux se sont ensuite occupés de la forme et des attributions des états-généraux, et cette question, traitée fort superficiellement par M. Boullée, est certainement la partie la plus intéressante et la plus instructive du livre de M. Rathery. Voici en peu de mots le résultat des recherches auxquelles il s’est livré.

Le droit de convoquer les états-généraux appartenait au roi, au régent ou au lieutenant-général du royaume. Cette convocation se faisait deux ou trois mois à l’avance par des lettres circulaires adressées aux baillis et aux sénéchaux, et renfermant un exposé des motifs qui la rendaient nécessaire, comme le besoin de subsides, la réforme des abus, le soulagement du peuple, l’extirpation de l’hérésie. Tandis que les nobles et les ecclésiastiques étaient prévenus individuellement, le tiers-état était averti collectivement à son de trompe, par affiche ou par lecture de lettres au prône, et pour lui seulement commençait dans chaque ville et dans chaque village une série d’opérations électorales qui avaient pour but de nommer les députés chargés de présenter à l’assemblée générale du bailliage les cahiers de doléances de ces localités. Cette assemblée où le clergé et la noblesse votaient alors directement choisissait enfin les députés aux états, et refondait en un seul tous les cahiers qui lui avaient été apportés. Les suffrages se donnaient la plupart du temps à haute voix, sur l’appel nominal fait par le greffier. Des coffres fermant à clé étaient placés à la porte du lieu de la réunion pour y recevoir les réclamations. Il n’y avait du reste rien de fixé ni sur le nombre des électeurs et des députés, ni sur les conditions requises pour être électeur ou éligible. Les femmes, possesseurs de fiefs, pouvaient voter par mandataire. Certaines charges, les charges de judicature, entre autres, étaient regardées comme incompatibles avec les fonctions de député.

Avant le jour fixé pour la séance royale, les députés étaient autorisés à se livrer à des travaux préliminaires, tels que la vérification des pouvoirs, la prestation du serment, etc. Malheureusement, dans la plupart de ces réunions