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Peel ait été appelé aux affaires en 1841 pour faire exactement le contraire de ce qu’il propose aujourd’hui ? Qu’importent les amères récriminations d’un romancier et les clameurs de la dukery ? Ce qu’il faut à l’Angleterre dans la crise dont elle est menacée, c’est un homme d’état assez fortement établi au sein de son propre parti pour lui imposer des sacrifices, assez sûr de l’estime publique pour pouvoir compter au besoin même sur ses adversaires. Les sarcasmes de M. d’Israëli ont pu torturer le premier lord de la trésorerie pendant deux heures ; il peut éprouver un sentiment pénible en écoutant des plaintes qui ne sont pas dénuées de fondement ; mais les souffrances de sa vanité individuelle n’ôtent rien à la grandeur de son rôle politique. Le duc de Wellington est presque aussi grand pour avoir décidé l’émancipation catholique que pour avoir triomphé à Waterloo, et cependant cette grande mesure n’avait pas eu d’adversaire plus prononcé.

Sir Robert Peel a reculé devant l’imminence d’une crise terrible, comme le ministère de l’émancipation en 1829, comme celui de la réforme en 1832 ; il a vu que la ligue marchait à pas de géant à la conquête du pays, que la classe moyenne tout entière se jetait dans le mouvement ; il a compris la haute portée de la lettre de lord John Russell, et il a pensé qu’il valait mieux être conséquent dans sa conduite générale que conséquent dans des théories économiques : aussi a-t-il préféré l’honneur de sauver son pays à la vaine satisfaction de son amour-propre individuel. Quel est d’ailleurs le parti, quel est l’homme qui n’apprenne rien à l’école des évènemens, lorsqu’ils parlent d’une voix aussi éclatante ? Est-ce que le parti tory est aujourd’hui ce qu’il était il y a vingt ans ? Qu’est-ce que le mouvement d’Oxford au point de vue religieux ? qu’est-ce que l’école de la jeune Angleterre au point de vue politique ? Le docteur Pusey et M. Gladstone professent-ils les maximes de lord Eldon, et qu’y a-t-il de commun entre lord John Manners et le duc de Newcastle ? Est-ce bien à M. d’Israëli, à l’auteur de tant d’utopies sociales, qu’il appartient d’attaquer un homme considérable parce qu’il a changé d’opinion sur des intérêts secondaires, et qu’il fait passer les grandes questions avant les petites ? Lorsqu’on nous aura prouvé que les théories audacieuses et quasi républicaines énoncées dans les romans de la jeune Angleterre sont les mêmes que celles de M. Pitt, nous consentirons à prendre au sérieux les reproches lancés par un homme d’esprit, qui pourra parfois être un embarras pour la personne du premier ministre d’Angleterre, mais qui ne sera jamais un danger pour sa politique.

À l’exposé de la conduite tenue par sir Robert Peel et lord John Russell durant la dernière crise a succédé l’exposé de ce plan auquel étaient attachées les destinées de vingt-cinq millions d’hommes, et qu’aucune indiscrétion n’avait divulgué avant la publication intégrale. Il était facile de prévoir que la suppression de ce qui restait encore de droits protecteurs entrerait nécessairement dans la combinaison financière du premier ministre. Les tentatives déjà faites depuis trois ans n’ayant eu aucun inconvénient sous le