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qui est en question, que fera-t-on à Londres, et comment deviendra-t-il possible de céder sans déshonneur ? Après avoir reculé dans l’affaire de Mac-Leod, dans celle des frontières du Maine, et tout récemment dans l’affaire du Texas ; après avoir, depuis six ans, courbé la tête sous la menace, comment deviendra-t-il possible de céder, lorsque, loin d’offrir ce qu’elle avait deux fois refusé, on viendrait à s’emparer d’une chose qu’on n’avait pas même eu jusqu’ici l’audace de lui demander ?

On le voit, rien n’est moins rassurant qu’une telle perspective. Il règne au-delà de l’Atlantique une telle surexcitation d’espérance et d’orgueil, et l’on s’y tient pour tellement convaincu que la Grande-Bretagne reculera devant une lutte dont le premier effet serait de lui enlever le Canada et de compromettre sa tranquillité intérieure en suspendant ses exportations, qu’on peut s’attendre aux dernières extrémités, et à voir la majorité du sénat emportée par l’impulsion universelle. La crise ministérielle qui s’est ouverte en Angleterre, et les embarras parlementaires qui attendent le cabinet reconstitué, n’auront pu qu’exalter encore à Washington la confiance du parti démocratique et des hommes de l’ouest. Les prochaines nouvelles nous feront connaître le contre-coup produit aux États-Unis par la révélation de ces graves embarras.

Quel effet ces embarras auront-ils sur la résolution définitive de l’Angleterre elle-même ? c’est ce qu’il est encore impossible d’apprécier. Le langage des membres du cabinet dans les deux chambres, celui de sir Robert Peel en particulier, ont été des plus pacifiques ; mais la crise qui agite l’Angleterre peut avoir des phases non moins diverses qu’imprévues. Quelle politique sortira de l’agonie furieuse du torisme, des espérances surexcitées des whigs, de la situation difficile de sir Robert Peel ? c’est assurément ce qu’il n’est pas encore possible de prévoir.

Les explications attendues avec tant d’impatience par l’Angleterre et par l’Europe ont été enfin données, et elles ont tiré toute leur grandeur de la réalité du gouvernement représentatif qui éclate en ce pays. Des hommes politiques qui stipulent pour leur propre parti sur des conditions nettes et précises ; des rivaux parlementaires qui se promettent un loyal concours dans la défense de principes communs dont le triomphe importe à des intérêts supérieurs à ceux de leur ambition ; une reine qui traite directement avec les chefs du parlement, les investit de tous ses pouvoirs, et ne leur fait aucune autre condition que celle de conquérir la majorité : c’est là un beau spectacle, dont la grandeur consiste surtout en ce que la valeur véritable des hommes devient la seule mesure de leur importance politique.

C’est par là que cette scène imposante produit sur tous les esprits un effet saisissant. Il y a sans doute beaucoup d’ombres au tableau, beaucoup de situations fausses et contraintes dans cet ensemble ; mais les embarras des personnes disparaissent devant la forte organisation des partis. Qu’importe aux grands intérêts de l’Angleterre, qu’importe à l’histoire que sir Robert