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un épisode littéraire sous l’empire. Cette querelle et l’importance exagérée qu’elle acquit aussitôt est une des plus grandes preuves, en effet, du désœuvrement de l’esprit public à une époque où il était sevré de tout solide aliment. C’est bien le cas de dire que les objets se boursouflent dans le vide. La discussion se prenait où elle pouvait.

Entre les innombrables brochures publiées alors, quatre pièces principales suffisent pour éclairer l’opinion et fixer le jugement : 1° la préface explicative que M. Étienne mit en tête de la quatrième édition des Deux Gendres ; 2° la Fin du procès des DEUX GENDRES, écrite en faveur de M. Étienne, par Hoffman ; 3° et 4° les deux plaidoiries adverses de Lebrun-Tossa, intitulées Mes Révélations et Supplément à mes Révélations. Toutes grossières et sans goût, toutes rebutantes que se trouvent ces dernières pièces, elles ne sont pas autant à mépriser qu’on est tenu de le faire paraître dans un éloge public. Il résulte clairement du débat que M. Étienne avait reçu de M. Lebrun-Tossa, son ami alors et son collaborateur en perspective, non pas un projet de canevas, mais une véritable pièce en trois actes et en vers, presque semblable en tout à celle qui est imprimée sous le titre de Conaxa, et qu’il en tira, comme c’est le droit et l’usage de tout poète dramatique admis à reprendre son bien où il le trouve, une comédie en cinq actes et en vers, appropriée aux mœurs et au goût de 1810, marquée à neuf par les caractères de l’ambitieux et du philanthrope, et qui mérita son succès. Le seul tort de M. Étienne fut de ne pas avouer tout franchement la nature de ce secours qu’il avait reçu, et de compter sur la discrétion de Lebrun-Tossa, dont l’amour-propre était mis en jeu : « Quoi ! s’écriait celui-ci dans un apologue assez plaisant, vous ne me devez qu'un projet de caneras (le mot est bien trouvé), c’est-à-dire un échantillon d’échantillon, tandis que c’est trois aunes de bon drap d’Elbeuf que je vous ai données. » Je résume en ces quelques mots ce qui se noie chez lui dans un flot interminable de digressions et d’injures.

Le coup cependant était porté ; la faculté d’invention devenait suspecte et douteuse chez M. Étienne ; il essaya, en 1813, de poursuivre sa voie dans la comédie de l’Intrigante, qui n’eut que peu de représentations, et que quelques vers susceptibles d’allusions firent interrompre. Il nous est impossible, nous l’avouons, d’attacher à cette pièce le sens profond et grave que M. de Vigny y a découvert. Il parle du grand cri qui s’éleva dans Paris à cette occasion ; nous qui, en qualité de critique, avons l’oreille aux écoutes, nous n’avons nulle part recueilli l’écho de ce grand cri. M. Molé a lui-même dû rabattre énergiquement