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c’étaient des grimaces à réjouir le spleen en personne. Ces masques bouffons se mouvaient dans des zones tournant en sens inverse, ce qui produisait un effet éblouissant et vertigineux.

Peu à peu le salon s’était rempli de figures extraordinaires, comme on n’en trouve que dans les eaux-fortes de Callot et dans les aquatintes de Goya : un pêle-mêle d’oripeaux et de haillons caractéristiques, de formes humaines et bestiales ; en toute autre occasion, j’eusse été peut-être inquiet d’une pareille compagnie, mais il n’y avait rien de menaçant dans ces monstruosités. C’était la malice, et non la férocité qui faisait pétiller ces prunelles. La bonne humeur seule découvrait ces crocs désordonnés et ces incisives pointues.

Comme si j’avais été le roi de la fête, chaque figure venait tour à tour dans le cercle lumineux dont j’occupais le centre, avec un air de componction grotesque, me marmotter à l’oreille des plaisanteries dont je ne puis me rappeler une seule, mais qui, sur le moment, me paraissaient prodigieusement spirituelles, et m’inspiraient la gaieté la plus folle.

A chaque nouvelle apparition, un rire homérique, olympien, immense, étourdissant, et qui semblait résonner dans l’infini, éclatait autour de moi avec des mugissemens de tonnerre. — Des voix tour à tour glapissantes ou caverneuses criaient : « Non, c’est trop drôle ; en voilà assez ! Mon Dieu, mon Dieu, que je m’amuse ! De plus fort en plus fort ! — Finissez ! je n’en puis plus… Ho ! ho ! hu ! hu ! hi ! hi ! Quelle bonne farce ! Quel beau calembour ! — Arrêtez ! j’étouffe ! j’étrangle ! Ne me regardez pas comme cela… ou faites-moi cercler, je vais éclater… » Malgré ces protestations moitié bouffonnes, moitié suppliantes, la formidable hilarité allait toujours croissant, le vacarme augmentait d’intensité, les planchers et les murailles de la maison se soulevaient et palpitaient comme un diaphragme humain, secoués par ce rire frénétique, irrésistible, implacable.

Bientôt, au lieu de venir se présenter à moi un à un, les fantômes grotesques m’assaillirent en masse, secouant leurs longues manches de pierrot, trébuchant dans les plis de leur souquenille de magicien, écrasant leur nez de carton dans des chocs ridicules, faisant voler en nuage la poudre de leur perruque, et chantant faux des chansons extravagantes sur des rimes impossibles. Tous les types inventés par la verve moqueuse des peuples et des artistes se trouvaient réunis là, mais décuplés, centuplés de puissance. C’était une cohue étrange : le pulcinella napolitain tapait familièrement sur la bosse du punch anglais ; l’arlequin de Bergame frottait son museau noir au masque enfariné