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qu’eux les meneurs ultramontains auprès des souverains catholiques ; ils leur ont promis de conquérir le siècle à l’obéissance. Au milieu de ces agitations nécessaires de la libre pensée qui va et vient comme le sang dans les veines, ils ont célébré les charmes et les bienfaits de la vie stagnante. On les a crus sur parole. Ils ont, petit à petit, occupé tous les emplois, et garni de leurs créatures toutes les conditions et tous les rangs. Le vieux Frédéric-Guillaume a fini par leur complaire ; son fils s’en est entouré, parce qu’il a trouvé chez eux je ne sais quel parfum de vétusté qui flattait les goûts d’artiste du royal amateur. Le sage Guillaume leur a donné sa confiance en Wurtemberg, voulant ainsi fortifier la stricte orthodoxie dont il fait profession.

Si la réaction piétiste cause plus de bruit en Prusse, elle n’est ni moins profonde, ni moins tenace en Wurtemberg. La philosophie hégélienne est arrivée très tard dans ce Tubingue, où s’était pourtant passée la jeunesse de Hegel. Strauss, étudiant à son tour, en 1827, dans le vieux séminaire où Hegel lui-même avait étudié, ne connaissait encore rien de ses écrits, et c’était à peine, racontent les amis de Strauss, si l’on entendait alors parler à Tubingue « de la théologie excentrique d’un certain Marheineke. » En 1830, quelques-uns de ces singuliers séminaristes, qui n’avaient pourtant pas encore quitté leurs capes du moyen-âge, entreprirent de lire la Phénoménologie. Ils le firent en commun, et sans maîtres, puisqu’aucun des leurs ne les pouvait aider. Le maître, à vrai dire, c’était l’un d’eux, c’était Strauss, qui, l’année suivante, abandonna la chaire qu’on venait de lui confier dans l’école préparatoire de Maulbroun, pour aller suivre les leçons de Hegel à Berlin. Le peu de temps qu’il put en jouir porta ses fruits. La Vie de Jésus parut en 1835. Le Christ n’était plus une personne vivante et unique ; lidée ne s’incarnait pas ainsi dans un individu à l’exclusion de l’humanité, lidée était dans tous les hommes et dans tous les temps, dans tous les momens et dans tous les actes de l’existence universelle. La personnalité du Christ disparaissait ; à la place du Christ historique venait un Christ idéal, construit lentement par toutes les traditions antérieures à son apparition terrestre. C’était la plus superbe conquête de l’hégélianisme, celle qui flattait le mieux cette ambition singulière avec laquelle il prétendait passer uniquement pour un christianisme agrandi. « Je vous donne bien plus de Christ que vous n’en aviez ! » s’écriait Strauss de la meilleure foi du monde. Le fond vraiment original de cette nouvelle théologie, il était là. Pour la partie négative, pour la destruction dut Christ ancien, Strauss avait simplement continué ou résumé les recherches critiques