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des communes qu’ils peuplent exclusivement, et qui, reconnaissant l’autorité extérieure de l’état, repoussent en tout celle du consistoire. Les colonies religieuses de Kornthal et de Wilhemsdorf sont comme les deux contreforts sur lesquels s’appuie tout le piétisme wurtembergeois. Le gouvernement s’opposa d’abord à des dissidences si violentes ; un jour le roi, recevant les membres de la seconde chambre, interpella le chef de l’un de ces établissemens, qui se trouvait parmi les députés, et lui reprocha de vouloir une patrie à part au sein de la patrie commune. « Sire, répondit-il, si celle-là nous manque, nous irons la chercher en Amérique ; nous sommes deux cent mille résignés par avance à l’émigration. » A vrai dire, quarante ou cinquante mille l’auraient bien suivi. C’est qu’en effet la persécution n’y pouvait rien, et la persécution ne manqua nulle part. Frédéric-Guillaume III, qui faisait de force une seule église avec deux, n’était pas d’humeur à souffrir patiemment cette nouvelle église qui, chez lui aussi, se formait dans l’ombre. Son esprit méthodique et bureaucratique s’accommodait mal de cette irrégularité plus ou moins sentimentale des manifestations religieuses ; son autorité s’alarmait à la pensée de ces congrégations souterraines qui semblaient devoir miner le sol politique en même temps que l’édifice ecclésiastique. Presque tous les souverains allemands partagèrent alors ces dispositions, et les piétistes, poursuivis par mesure de police, condamnés par les tribunaux, se renfermèrent davantage dans la foi intérieure, et se livrèrent aux bonnes œuvres avec une ardeur trop féconde pour n’avoir pas été du moins d’abord désintéressée.

De meilleurs jours allaient enfin leur venir, une fortune plus prospère, sinon plus honnête. Quelques ministres se laissèrent gagner par les simples vertus de leurs ouailles persécutées ; d’autres, sortis des classes inférieures, apportèrent avec eux dans la chaire pastorale les inspirations habituelles de leur éducation première. Puis arriva le grand mouvement rétrograde pour toute une portion de l’église. Avec Kant, avec Fichte, on distinguait encore facilement le travail de la raison critique et le devoir de la raison pratique ; on ne répugnait point à faire deux parts de son intelligence, et l’on réservait toujours avec bonne foi les vérités de l’ordre révélé. La philosophie n’avait point absorbé la théologie ; elle lui prêtait seulement un sens plus large, une discussion plus sévère. Avec Schelling, cette absorption commença, mais sous une forme si poétique, sous des voiles si amples et si mystérieux, qu’on se laissait prendre au charme sans trop y songer. Vint enfin la dialectique hégélienne, et cette fois il fallut bien