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toujours eu d’exaltation mystique en Allemagne se ranima par une subite effervescence, qui se ressentit surtout dans l’Allemagne du midi ; seulement le don de spiritualité manquait, ce don précieux du moyen-âge, d’où lui venait tant de grandeur jusque dans la naïveté de sa foi. Ce nouveau mysticisme eut la naïveté sans la grace, et quelquefois sans la sincérité ; ce fut une naïveté voulue, et en quelque sorte brutale ; on s’en prit au plus gros des choses, parce qu’on n’avait pas l’essor de l’ame pour aller puiser au fond ; on rechercha les pratiques par goût pour les pratiques elles-mêmes ; on s’y livra comme à une besogne matérielle qui rapportait le salut. Ce ne fut point un élan passionné, ce fut un besoin froid et calculateur. Les grandes époques du cœur humain se tiennent sans se ressembler jamais. Ce n’était plus dans la religion, même dans la religion des masses, qu’il fallait chercher le mysticisme ; il entrait alors dans la philosophie où l’apportait Schelling ; il y déployait toutes ses séductions, il y ouvrait tous ses abîmes ; le vrai sens du mysticisme ancien n’était pas plus dans les rigueurs du zèle piétiste que dans les minuties de la direction jésuitique.

Malheureusement les pasteurs, trop séparés de la portion inférieure de leur troupeau par leur éducation philosophique, ne s’appliquèrent point assez au service de leurs plus humbles auditeurs ; ils ne surent point voir tout ce qu’avait de légitime ce vague désir d’émotions et de consolations spirituelles. Ils ne surent ni satisfaire ses justes exigences, ni redresser ses mauvaises voies. Ce fut ainsi que le peuple se retira insensiblement de l’église. Dégoûté du culte officiel, de la parole languissante du ministre, de la sécheresse d’un enseignement mal approprié à des aspirations plus vives, il se jeta dans les associations privées, et forma des conventicules où s’introduisit aussitôt l’esprit de secte. En haine de la hiérarchie ecclésiastique, cet esprit, qui put un moment sembler révolutionnaire, abolit, pour son usage particulier, le privilège du sacerdoce, et déclara suffisamment investis du sacré ministère tous ceux en qui la grace se manifesterait comme en des vases d’élection ; chacun put devenir son propre prêtre et celui de sa famille. Ce fut une grande tentation, une tentation bien ancienne en Allemagne ; c’était par là que les anabaptistes avaient fait fortune ; c’était une tendance très marquée chez les séparatistes de l’école de Spener qui, datant déjà de la fin du XVIIe siècle, étaient eux-mêmes pour beaucoup dans l’enfantement du nouveau piétisme.

Cet amour d’isolement, ce zèle de petite église s’est surtout manifesté en Wurtemberg ; les piétistes ont là des établissemens distincts,