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humaine, contre cette loi qui, de plus en plus, la pousse à vouloir gouverner tout et se gouverner elle-même par ses seules forces. Le Wurtemberg est maintenant l’un des champs de bataille du piétisme.

Il est clair, pour qui veut y regarder sérieusement, que depuis quelque temps l’esprit du siècle semble lutter contre ses propres besoins, et revenir sur les pas qu’il a faits. Partout en Allemagne, en France, en Angleterre, on met en question la valeur des idées sur lesquelles reposent cinquante années de conquêtes ; on dispute à la société spirituelle comme à la société politique les fondemens sur lesquels elle s’est lentement assise par un travail de trois siècles. L’une comme l’autre procède du droit absolu que la raison s’est décerné, de n’obéir partout qu’à elle-même, et de chercher partout son entière satisfaction : peu s’en faut qu’on ne tienne maintenant ce droit suprême pour une usurpation sacrilège. On le poursuit, on l’accuse, on le calomnie dans toutes les œuvres accomplies à sa gloire et en son nom. L’on affirme hardiment que ce droit n’est une garantie suffisante ni pour le repos de l’état, ni pour la sérénité des intelligences. On lui reproche d’avoir tout renversé dans le monde des faits et dans le monde des idées ; on se prend de compassion et d’amour pour ces ruines qu’on regrette ; on les voudrait vivantes ; on s’imagine qu’elles vivent. Vienne donc la foule pour s’incliner et baisser la tête devant cette résurrection : voici l’ancienne église et l’ancienne royauté. Ce n’est plus une restauration brutale, imposée par la force, c’est une réhabilitation morale, obtenue par la science, confirmée par la voix éclatante du cœur humain, dont l’invincible tendresse ne trouvait plus à se rassasier dans cette sécheresse de l’ordre rationnel qui règne sur le temps présent. En somme, n’est-ce pas là le dernier mot du puséysme et du mouvement qui vient à sa suite ? n’est-ce pas là le fond des baroques doctrines de ces gens d’esprit fourvoyés qui se sont appelés la jeune Angleterre, parce qu’ils avaient inventé de copier l’Angleterre d’avant 1688 ? N’est-ce pas chez nous l’argument souverain de quelques sages bien connus, quand ils veulent faire de la haute morale politique ? En Allemagne, du moins, c’est à peu près toute la pensée des disciples plus ou moins illustres de cette école historique, monarchique, dévote et féodale, qui parle toujours des vertus de la fidélité allemande et des graces paternelles d’un règne chrétien. C’est enfin ce qu’il y a de plus net, de plus catégorique dans les manifestations si complexes du piétisme.

Qu’en présence de ces phénomènes l’esprit moderne doive douter de l’avenir et subir de nouveau tous les jougs qu’il a secoués, personne