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de Tubingue. Ce grand cloître que la réformation s’est élevé pour l’étude des sciences religieuses a, pour ainsi dire, porté malheur à l’orthodoxie. C’est de cette rude maison que sont sortis presque tous les théologiens qui ont ruiné la théologie. En France, on étudie pour employer ce qu’on apprend quelque part et à quelque chose, en Allemagne, on étudie pour étudier : la science est la science ; ce n’est ni un moyen ni une profession. Qui dit chez nous théologien dit un homme occupé à servir par son travail le culte qu’il professe. Nous sommes encore sous le coup de la règle d’autorité catholique ; en Allemagne, un théologien est tout simplement un homme qui fait de la théologie, comme un juriste fait du droit, avec entière liberté de prendre l’opinion qui lui convient et de laisser celle qui lui déplaît. Il n’y a rien de si naturel pour un théologien allemand que d’expliquer la trinité comme Schelling et l’Évangile comme Strauss. Règle générale, théologien ne signifie point là-bas homme d’église ; c’est bien souvent tout le contraire.

Ce séminaire de Tubingue est pourtant la plus belle institution scientifique de l’Allemagne du sud ; il fait l’honneur du Wurtemberg, et, s’il a contribué à diminuer la pureté de l’ancienne orthodoxie, il a d’ailleurs répandu partout une instruction bienfaisante. Il n’y a pas de pays plus généralement éclairé que le Wurtemberg, pas d’écoles élémentaires plus sagement dirigées, plus fréquentées, plus utiles que les siennes, pas de gymnase où les études classiques soient plus sérieuses. La Prusse est entrée depuis long-temps déjà dans cette voie féconde ; mais le Wurtemberg l’y avait précédée, grace à l’influence de son clergé. On rencontre au fond des moindres villages des ecclésiastiques tout pleins de connaissances et de politesse : ce ne sont pas seulement de bons et honnêtes pasteurs, ce sont des musiciens, des philologues, des naturalistes, des hommes de goût en même temps que de savoir. Tous ne vont pas, assurément, jusqu’aux extrémités révolutionnaires de la théologie ; il faut des natures ardentes pour certains entraînemens de logique ; la masse est en général, et fort heureusement, très volontiers inconséquente ; ils s’arrêtent donc en chemin, les uns ici ; les autres là, et ce qui leur reste de commun, c’est un même culte pour la libre pensée, un même amour de la raison, un même penchant à prêcher la morale plus souvent et plus familièrement que le dogme. C’était là, du moins, la situation générale il y a quelques années ; elle est aujourd’hui devenue beaucoup moins paisible en devenant moins uniforme : en Wurtemberg, comme ailleurs, il y a réaction violente contre les tendances modernes de l’intelligence