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d’un coup de fusil. Il monte sur un dromadaire pour rejoindre plus vite le corps commandé par El-Doukkoumy. De loin il reconnaît le khalife blessé au milieu de ses officiers, le couche en joue, et l’abat comme une gazelle. Plus tard ce fellah fut mis à mort par ordre d’Abd-el-Rhamân, car c’est une loi que nul ne doit s’armer pour combattre qui que ce soit de la famille impériale. Tout Dârforien qui, par hasard, ou même malgré lui, verse le sang d’un prince doit périr. Quand, après une sanglante mêlée, le sultan victorieux, maître du camp ennemi, entra sous la tente du khalife, il souleva le voile qui couvrait la face du cadavre, et avec des larmes abondantes pleura sur son neveu, en reprochant aux grands qui l’avaient suivi de ne pas avoir détourné un si vaillant prince de cette funeste guerre. Assurément, ce sont là de grandes batailles ; on s’y bat à l’arme blanche comme dans les temps anciens ; les chefs s’attaquent corps à corps et se frappent à outrance. Les cottes de mailles en usage depuis des siècles chez les peuples du Soudan dénotent une race brave, habituée à porter de lourdes armures, malgré une chaleur accablante. Malheureusement tout ce courage se dépense dans des guerres de succession qui, un jour peut-être, amèneront la conquête du pays par le, troupes égyptiennes.

Délivré de ces inquiétudes, Abd-el-Rahmân songea à introduire des réformes dans le royaume. Il supprima les douanes, distribua les fonctions à ceux qui en étaient dignes, rendit les routes plus sûres, favorisa le commerce, et gouverna avec tant d’équité, que l’aisance se répandit partout. On raconte de ce monarque des histoires qui, si elles sont vraies, conserveront sa mémoire en Afrique comme s’est perpétuée en Asie celle du fameux Aaron, surnommé avant lui El-Rachid (le juste). Comme le khalife de Babylone, Abd-el-Rahmân aimait les gens de lettres, et ce fut à ce titre qu’il accueillit si bien le père de notre voyageur, le cheikh Omar ; comme lui aussi, il entretint passagèrement des relations avec le personnage d’Europe le plus grand et le plus influent de son siècle. Aaron envoya une ambassade à Charlemagne, et Abd-el-Rahmân reçut des lettres de Bonaparte.

Par un singulier hasard, un mamelouk chassé d’Égypte par les armées françaises mit en danger la vie de ce sultan. Accueilli par Abd-el-Rahmân, qui le traita honorablement, cet audacieux soldat demanda au prince la permission de se bâtir une maison à la manière de celles du Kaire. De cette maison il fit une forteresse, et pratiqua dans le mur d’enceinte deux meurtrières auxquelles furent placés un canon et un obusier. Ce château dominait le palais plus humble du