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reculé, et c’est miracle qu’il se conserve ainsi dans ces gorges de la Forêt-Noire. L’archevêque a successivement disgracié ou frappé tous les hommes qui de près ou de loin ont eu l’honneur d’appartenir à M. de Wessenberg. L’ultramontanisme est bientôt devenu dans son diocèse presque aussi correct qu’il doit l’être dans l’autre Fribourg. Peu s’en faut que l’ardeur exclusive des jeunes prêtres n’ait bientôt remplacé partout la modération trop libérale des anciens. La faculté de théologie a été renouvelée tout entière, les autres envahies par places ; il n’a plus été possible aux protestans d’arriver dans les chaires vacantes de la faculté de philosophie ; comme juristes, comme médecins ou comme orientalistes, partout dans l’université les ultramontains ont pris pied. La théologie protestante s’enseignant uniquement à Heidelberg, l’ultramontanisme règne à Fribourg sans contrepoids et sans contrôle. Ce n’était pas pour cela que Joseph II avait chassé les jésuites. Ce sont eux maintenant qui reprennent l’avantage, expulsant ou suspendant à leur gré tous les dissidens, au mépris des libertés académiques et du droit public de l’Allemagne. Le grand-duc céda trop à leurs instances, et la marche de son gouvernement, sous le coup de ces exigences de plus en plus insatiables, est en vérité chose assez instructive. Nous sommes ici sans doute sur le terrain des petites affaires, mais ce sont celles-là qui souvent apprennent les grandes.

Souverain protestant d’une population à moitié catholique, le grand-duc a toujours cru d’une bonne politique de favoriser la croyance qui n’était pas la sienne. C’est un jeu trop commode pour être toujours le meilleur. On a fini par s’en apercevoir en Belgique. Le grand-duc se trouvait pourtant soutenu dans cette voie, et jusqu’à certain point contraint d’y marcher par l’influence de la première chambre. La haute et la moyenne noblesse forment là un corps héréditaire et compacte contre lequel ne peuvent absolument rien les huit membres introduits à titre viager par la faveur du souverain, sans que le souverain ait le droit de dépasser ce nombre insignifiant. On a donc pu systématiquement employer le catholicisme très décidé de la première chambre pour se couvrir contre les prétentions libérales de la seconde. Le grand-duc s’est même ainsi défendu contre son propre ministère, et il a par là tenu quelquefois en échec l’homme le plus habile qu’il ait à son service, M. Nebenius. Il garde d’ailleurs encore plus près de lui des conseillers moins éclairés et moins responsables, dont l’intervention balance et neutralise les pouvoirs légaux. C’est la mode un peu despotique des petits princes constitutionnels de l’Allemagne, c’est leur revanche contre la constitution, le dernier asile