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blessé de la raideur avec laquelle l’esprit moderne persiste à marcher de conséquence en conséquence, et de l’entêtement avec lequel l’esprit du moyen-âge prétend toujours chercher dans ses linceuls des étendards de victoire. Il a fermé les yeux pour ne pas découvrir tout ce que les nouveaux catholiques allemands lui avaient emprunté comme par instinct ; il a repoussé, dit-on, avec opiniâtreté les sollicitations indiscrètes de ces descendans sur lesquels il ne comptait pas ; il s’est refusé nettement à les avouer, et, quand Ronge est venu lui-même tout exprès à Constance pour tenter un rapprochement, le vieux prélat n’a voulu lui donner audience que par-devant témoins. Mais, s’il comprend mal cet emportement d’une secte nouvelle et s’en afflige, M. de Wessenberg a dû s’affliger bien plus encore en voyant les doctrines ultramontaines détruire peu à peu l’ouvrage de sa vie. Il n’a pas assisté sans douleur à ce progrès artificiel qui les rétablissait en souveraines dans une église dont il crut, pendant un temps, avoir sauvé tout ensemble la foi et la nationalité. Il est même probable qu’il a combattu cette fatale invasion, non pas sans doute à grands coups et avec grand bruit, ce n’était là le fait ni de sa dignité ni de son âge, mais gravement et silencieusement, par la seule influence de son caractère, de son autorité, de ses souvenirs, et, pour ainsi dire, par le rayonnement de sa vertu. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’aujourd’hui même encore, dans toute la partie méridionale du diocèse de Fribourg, le clergé secondaire résiste énergiquement aux inspirations officielles qui lui viennent de l’archevêché ; c’est qu’il a même dépassé quelquefois, par cette résistance, les limites auxquelles la prudence de M. de Wessenberg a dû s’arrêter. Ainsi depuis long-temps déjà il sollicite auprès des chambres badoises l’abolition du célibat ecclésiastique. Ronge pensait bien rencontrer là des alliés ; il n’a pourtant réussi qu’à moitié. Très décidée sur tout ce qu’elle regarde comme question de discipline, cette petite église l’est beaucoup moins à l’endroit du dogme, et l’audace du concile de Leipzig l’aurait certainement effarouchée. Cependant, lorsque l’archevêque engagea dernièrement les doyens des cantons à prévenir, par une exacte surveillance, les progrès que l’hérésie rongienne pourrait faire chez leurs curés, la plupart des doyens du midi ne donnèrent pas de suite au mandement épiscopal, et l’on en vit même qui, pour toute réponse, réclamaient hardiment les nombreuses réformes exigées, disaient-ils, « par l’esprit du siècle, » pendant que d’autres suppliaient déjà qu’on leur accordât des synodes réguliers.

Le malheur est qu’à Fribourg même « l’esprit du siècle » a singulièrement