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pensée de ce temps-ci ; c’est une autre fatalité, mais une fatalité raisonnable ; c’est cette force invincible qui résulte désormais du concours éclairé des intelligences et des volontés humaines, une force immense incarnée pour toujours dans les hommes et dans les choses de notre révolution. Vous serez ainsi l’une des dernières victimes de la révolution française, non pas une victime fougueuse et révoltée comme Pitt et Castelreagh, mais une victime opiniâtre et patiente, comme le soldat qui meurt à son rang et tombe l’arme au bras ; vous tomberez avec le flegme autrichien. Peut-être essayez-vous parfois de vous faire illusion ; vous n’y réussirez pas : en vain vous fermez les yeux ; votre vainqueur vous crie son nom.

Il m’est venu de bonne source que le jour où sa majesté prussienne vous reçut en son château de Stolzenfels, vous lui payâtes son hospitalité par un mot de votre façon : « Serait-il vrai, sire, auriez-vous dit, que vous veuillez enfin nous donner une charte ? Prenez à notre bon voisin celle de 1830 ; c’est la plus fraîche date et le dernier goût. » L’histoire ne rapporte pas la réponse ; mais votre royal interlocuteur ne fut probablement très charmé ni dans sa vanité d’auteur inédit, ni dans son amour-propre d’Allemand de la vieille roche. Et cependant vous parliez de meilleur sens que vous ne le vouliez ; votre conseil était plus sérieux que vous ne le pensiez. Une charte française à des sujets allemands, ce n’était pas une si grande moquerie que vous aviez essayé de la faire : nous sommes tous plus près les uns des autres qu’il ne le faudrait pour vous. Il n’y a pas deux manières d’avoir du bon sens : c’est là ce qui m’a partout émerveillé dans ma route, c’est l’introduction d’un nouvel esprit jusque sous ce réseau dont vous resserrez inutilement les mailles dans votre diète de Francfort ; c’est la disparition de l’ancienne Allemagne qui abdique et s’efface pour revivre comme vit maintenant le monde tout entier ; on ne s’amuse plus aux songes, on ne rêve plus pour rêver ; on est pressé d’agir, et l’on veut des réalités en place des chimères ; religion, philosophie, politique, tout va là, et déjà presque avec cette promptitude leste et sérieuse que nous mettons chez nous aux bonnes choses dans nos bons momens.

C’est cette transformation que je voudrais maintenant raconter. Peut-être semblera-t-il qu’il est encore ici bien souvent question de théologiens et de philosophes, plus souvent certes que de politiques et de diplomates ; mais quoi ! prince, n’allez pas dire comme ce pape de trop spirituelle mémoire : « Ce sont des querelles de moines ; » attendez la fin de la métamorphose. Si simples que soient les détail