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se tiraient d’embarras. Il y avait deux espèces de feux créés par Jupiter : un feu divin et incorruptible, le soleil, qui parcourait le monde de l’orient au couchant ; un feu plus corruptible et plus terrestre, qui animait la nature entre la terre et le ciel. L’un et l’autre mettaient le même temps à parcourir leur domaine respectif. Et voilà pourquoi Vulcain, jeté le matin du ciel, tomba dans l’île de Lemnos à l’heure où se couche le soleil. Cette île d’ailleurs était, dit-on, fort bien choisie par le poète, puisqu’elle offrait encore des traces de feu volcanique. D’autres interprètes, moins hardis, appliquaient aux fables d’Homère une méthode qui s’est résumée dans le système d’Evhémère, selon lequel les dieux auraient été primitivement des hommes divinisés plus tard et défigurés par la superstition. Ainsi le Polyphème de l’Odyssée était quelque personnage très savant : voilà pourquoi il avait un mil au milieu du front, tout près de la cervelle, qui est le siège de l’intelligence. Ulysse se montra plus fin encore que Polyphème ; ce qu’Homère avait exprimé par sa victoire sur le cyclope. Rien ne pouvait résister à de telles interprétations. Aristarque (et ceux qui eurent ce courage avec lui ne sont pas nombreux) déclarait l’allégorie contraire aux intentions du poète. Il admettait donc dans leur grossièreté souvent sublime ces fictions d’un autre âge ; il ne voulait pas qu’on en fit honneur à Homère, non plus qu’on lui en fît un crime. L’érudition a renouvelé chez nous tous les paradoxes de l’allégorie philosophique, Mme Dacier s’y complaît encore et y revient à chaque page de son commentaire sur Homère ; mais la raison y a toujours répondu par l’opinion d’Aristarque.

Si la critique n’a pas le droit de forcer le sens des fables d’Homère, elle peut du moins y chercher une sorte de convenance et d’unité poétique. Tout passage qui produirait aujourd’hui dans l’Iliade une contradiction sera donc par là même suspect d’interpolation. Le poète héroïque n’est pas tenu d’être un profond philosophe, mais il doit s’accorder avec lui-même. Ainsi le premier voyage de Pâris à Mycène n’est mentionné clairement que dans six vers du XXIVe chant de l’Iliade. Homère, qui avait eu déjà tant d’occasions d’en parler, n’en a pourtant rien dit ailleurs : Aristarque concluait à supprimer les six vers en question comme insérés par quelque poète plus récent. Au XIIIe chant de l’Iliade, on voit reparaître un guerrier paphlagonien, nommé Pyléménés, déjà tué au Ve par la main de Ménélas. Ou bien, disait Aristarque, le même nom désigne deux guerriers différens (ce qui est peu vraisemblable, quoique non sans exemple), ou les deux vers qui nous représentent Pyléménès suivant les funérailles de son fils sont une maladroite