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des beautés que ne lui déroba pas Virgile), quel faible imitateur d’Homère ! Lycophron, avec son immense logogriphe de l'Alexandra, quel usurpateur du nom, de poète ! Je ne vois guère dans Callimaque qu’un habile versificateur. Théocrite lui-même (pourquoi faut-il qu’ici encore je rencontre des admirations que je dois respecter ?), Théocrite, comme peintre de la passion et de la nature, reste fort au-dessous de cette verve puissante qui anime l’épopée et la tragédie antiques. Faisons d’ailleurs aussi large qu’on voudra la part de l’invention dans les poèmes d’Apollonius et de Théocrite. Est-ce bien Alexandrie qui les a inspirés ? Apollonius vécut long-temps à Rhodes ; Théocrite était Syracusain de naissance. Quand Apollonius s’élève au-dessus d’une imitation artificielle des formes homériques, c’est par quelque souvenir de ses voyages, et grace au contact d’une vie moins factice que celle d’Alexandrie. Dans la collection des œuvres de Théocrite, je ne vois que les Fêtes d’Adonis qui offrent quelque peinture vraiment naïve des mœurs alexandrines. Pour ses poésies pastorales, Alexandrie ne lui a fourni que des livres ; sa muse est celle de Daphnis le Sicilien : les bois, les montagnes, les rivières, toute la nature enfin, dans ses vers, est celle d’une autre Grèce que cette Grèce improvisée sur les bords du Nil par la volonté persévérante d’une dynastie de conquérans. .

Que sont donc, avant tout, ce Musée, ces bibliothèques d’Alexandrie ? Un vaste entrepôt des richesses anciennes de la littérature grecque. Qu’est-ce que la littérature dans l’école alexandrine, sinon une discipline savante qui perpétue l’imitation des grands modèles, et remplace le génie par un industrieux mécanisme ? Ainsi, la véritable gloire littéraire de cette école, en dehors des sciences exactes, et avant la création de la philosophie qui porte son nom, repose sur les travaux de ses grammairiens, ou, pour mieux dire, de ses critiques.

En effet, pour ne pas trop rabaisser cette gloire, il faut bien connaître ce que l’antiquité attachait d’importance et d’honneur au titre de grammairien. Sur ce point, les témoignages abondent[1] ; j’en choisis un presque au hasard, bien postérieur au siècle d’Aristarque, nuis que l’on peut sans crainte appliquer à une époque plus ancienne.. Écoutez donc ce qu’enseignait le père du poète Stace, grammairien, professeur dans une école de Néapolis : la musique, la métrique, la philosophie des sept sages, l’épopée, la tragédie, la comédie, l’élégie,

  1. Voir L. Lerseh, Philosophie des Langues chez les anciens (en allemand) ; Bonn, 1838-1841, in-8o, et Graefenhan, Histoire de la Philologie classique (en allemand) ; 1844-1845, in-8o, ouvrage dont les deux premiers volumes ont seuls paru.