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Dans le Musée, les écrivains puisaient largement à toutes les sources de l’érudition. Les bibliothèques d’Athènes n’étaient rien auprès de la vaste collection réunie par les Ptolémées. Celle de Pergame, malgré la noble émulation des Attales et des Eumènes, n’arriva jamais au même degré de richesse[1]. On avait prodigué les trésors pour qu’Alexandrie ne pût rien envier à aucune ville de l’ancienne Grèce. Quelques témoignages même ajoutent que, par une nouveauté presque hardie, on avait fait traduire en grec les ouvrages écrits en langue étrangère, entre autres la collection des livres sacrés des Hébreux ; c’est à cette époque, en effet, que remonte la fameuse version des Septante. A tous ces établissemens littéraires présidait, comme chef suprême, le secrétaire même du roi (épistolographe), en même temps grand-prêtre ou ministre des cultes pour toute l’Égypte, et toujours Grec de naissance, vivante image de cette adroite ambition qui voulait fondre autant que possible deux religions, deux civilisations profondément distinctes, quoique depuis long-temps forcées de s’unir par les intérêts politiques et commerciaux[2].

Mais la science n’est pas l’inspiration, et l’on cherche vainement ce qui pouvait inspirer des poètes ou des orateurs dans cette cage des muses, comme un spirituel satirique du temps appelait le Musée. Les crimes et les révolutions de palais, le gouvernement jaloux d’un ministre secrétaire d’état, le voisinage d’une population active, avide de gain et superstitieuse, au milieu d’une ville où les monumens même des arts ne pouvaient offrir qu’un mélange plus ou moins heureux du style grec et du style égyptien : tout cela devait disposer bien peu les esprits aux grandes conceptions du beau. Aussi connaît-on beaucoup d’astronomes, de mathématiciens à Alexandrie ; les villes de commerce aiment et favorisent cette culture des sciences exactes, même au-delà des besoins de leur industrie. Quant à la poésie alexandrine, en vérité, c’est une bien pâle contrefaçon des grandes choses qui l’ont précédée. Apollonius (je n’en voudrais point médire, surtout depuis qu’on a, dans cette Revue même[3], fait si habilement ressortir quelques-unes

  1. Voir C.-F. Wegener, De Aula Attalica literarum artiumque fautrice, libri sex. Copenhague, 1836, in-8o. Il n’a paru encore que la première partie de cette monographie intéressante.
  2. On reconnaîtra ici le résultat des curieuses recherches de M. Letronne : Inscriptions de l’Égypte, t. I, 1844, in-4o. Il faut lire aussi sur cette époque une esquisse ingénieuse et savante de Heyne, Opuscula academica, t. I, p. 76 : De Genio soeculi Ptolemœorum.
  3. Voyez, dans la livraison du 1er septembre 1845, l’article de M. Sainte-Beuve par la Médée d’Apollonius.