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Après avoir tout prévu, tout arrangé pour que chaque minute du jour consacré à la suprême visite offrit à Louis XV une surprise, un enchantement, un plaisir, Bouret songea sérieusement à éterniser le souvenir du passage du roi dans sa propriété. Il fut saisi de la frénésie des Fouquet et des Lafeuillade. Louis XV effaça Dieu dans son ame enivrée de courtisan. Comment perpétuer ce souvenir ? Les médailles n’ébranlent pas l’imagination avec assez d’énergie ; elles ne s’adressent qu’aux fibres molles des savans. Les tableaux exécutés pendant la fête qu’ils reproduisent sont un hommage que Fouquet a déjà employé à sa fameuse fête de Vaux. Un financier copier un autre financier ! Non. Pour un bonheur sans exemple dans sa vie, il imagina une reconnaissance sans exemple. Bouret voulut élever une statue colossale à Louis XV au milieu de la cour d’honneur du château. Le premier objet qui frapperait la vue du roi en entrant, ce serait sa glorieuse image, reproduite avec art par le ciseau d’un habile statuaire.

La statue fut exécutée. Nous regrettons de ne pouvoir dire ici le mérite et le prix de ce morceau ; les recherches ont été stériles : Bouret toutefois le considérait comme d’une grande valeur, puisqu’il osa demander une inscription à Voltaire, alors entouré des immenses rayons de son éblouissant déclin.

Soit que Voltaire, exilé à Ferney, n’éprouvât pas un désir très vif de rimer les vertus du roi sur le socle de sa statue, soit qu’il ne tînt pas à obliger le financier Bouret, il lui répondit d’une manière aussi spirituelle qu’embarrassée. Il s’étrangle avec son esprit. Ah ! s’il pouvait se moquer du roi et du financier ;… mais la vieillesse l’a rendu prudent. On voit seulement dans sa réponse qu’il aimerait autant que ce fût à lui qu’on élevât une statue. Il répond à Bouret que M. Marmontel lui dira, — ce qui permet de supposer en passant que Marmontel avait ses grandes familiarités auprès de Bouret, — combien notre langue répugne au style lapidaire, à cause des verbes auxiliaires et des articles. Il ajoute aussitôt, endossant sa peau de démon, qu’il est bien triste d’emprunter deux vers d’un ancien auteur latin pour honorer Louis XV. « Répéter ce que les autres ont dit, c’est ne savoir que dire ; de plus, le roi viendra chez vous ; il verra votre statue, et n’entendra pas l’inscription. Si quelque savant duc et pair lui dit que cela signifie qu’on souhaite qu’il vive long-temps, on avouera que la pensée n’en est ni neuve ni fine.

« Il y a bien pis ; si j’ai la hardiesse de vous faire une inscription en vers pour la statue du roi, il faut rencontrer votre goût, il faut rencontrer celui de vos amis, et vous savez que la première idée qui vient