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château qui porta tantôt son nom, tantôt celui de Croix-Fontaine, et qu’il dépensa tant d’argent à faire bâtir.

Détruit moins de soixante ans après sa construction, il est difficile aujourd’hui d’en donner une description exacte. On sait seulement qu’il affectait les formes d’un vaste pavillon, ce qui laisserait supposer qu’il n’avait pas d’ailes. Les renseignemens pris auprès d’anciens propriétaires témoignent de la richesse d’un mobilier dont ils ont acheté plus tard les principales pièces, quoiqu’ils se taisent volontiers sur ces acquisitions un peu bande-noire. Outre les salons d’apparat communs à tous les châteaux, le château Bouret renfermait des cabinets d’une incroyable originalité. Celui dit du Japon avait coûté des millions à orner. Il était littéralement en porcelaine. Les tables, les fauteuils, la cheminée, les corniches, venaient de la Chine. C’étaient des morceaux d’une dimension effrayante. Jusqu’aux lampes, jusqu’aux carreaux qui étaient faits de cette pâte si chère alors, si chère encore aujourd’hui. L’escalier qui conduisait à cette pièce était également en porcelaine nuancée d’or et d’azur, et tournait comme une conque marine dont il avait la transparence rosée. Mlle Gaussin, qu’aima toujours Bouret, monta plus d’une fois cet escalier diaphane, il est probable que Zaïre quittait ses mules avant d’en fouler les marches. Quel rêve de Bagdad ! quelle vision de péri ! cet homme d’or, ce palais enchanté, cette divine actrice, cet escalier tournoyant à la lueur adoucie des bougies !

Pour mieux faire sa cour à l’imagination du roi, Bouret avait fait meubler un autre cabinet exactement semblable à celui qu’occupait Louis XV, à Versailles, quelques jours avant de se marier avec la fille du roi de Pologne. L’originalité de cette pièce, pour être comprise, a besoin d’une explication.

Lorsque le mariage du roi avec la jeune princesse polonaise fut arrêté, à l’exclusion des infantes portugaise et espagnole, le vieux cardinal de Fleury se préoccupa beaucoup des moyens qu’il convenait d’employer pour apprendre, sans danger comme sans erreur, à son royal élève les obligations d’un mari. On sait que les femmes inspiraient une telle terreur au jeune prince, qu’il fondit en larmes et trembla de frayeur, quand on lui annonça une première fois sans préparation que le jour de l’arrivée de l’infante il serait forcé de coucher avec elle. Voici le moyen auquel eut recours le spirituel cardinal pour instruire son élève si pudique et si. timoré. Il fit placer autour de sa chambre douze tableaux parfaitement exécutés et destinés à allumer sa tendre imagination d’adolescent. Il comptait sur la curiosité des