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M. Schlegel. Dans un accès d’humeur, il s’était oublié jusqu’à dire que, tant qu’il y aurait des Souabes dans la Souabe, Schiller aurait des admirateurs. On sait quelle est en Allemagne la réputation des Souabes, quoiqu’ils se soient depuis longtemps réhabilités. Cette épigramme, au reste, ne fut jamais insérée dans ses poésies, et cette omission peut valoir comme un désaveu. Cependant la réparation même ne put satisfaire à tous les scrupules des admirateurs de Schiller. L’honneur de Schiller est placé sous la sauvegarde de la chevalerie allemande ; toute critique dirigée contre l’auteur de Wallenstein passe pour une profanation.

M. Schlegel eût pu en rester là ; il avait passé en revue toutes les productions sérieuses du théâtre allemand ; il voulut encore désavouer de dangereux auxiliaires qui compromettaient sa cause. Sans perdre confiance dans l’avenir, il traça du présent un assez triste tableau. Après la retraite de Goethe et la mort de Schiller, tout avait derechef été mis en question. Le drame sentimental était revenu à la mode. Le goût des pièces chevaleresques ne fut pas, à vrai dire, complètement perdu, mais les formes s’altérèrent avant même d’avoir été fixées ; l’imitation s’adressa de préférence au côté extérieur et matériel de la représentation. On avait retenu de Goetz de Berlichingen l’abus des images et du style coloré. Ce besoin de parler aux yeux influa sur l’ensemble de toutes les compositions dramatiques. S’il n’était pas donné à tout le monde de s’inspirer de l’esprit de l’histoire et de la poésie, de pénétrer dans la pensée d’une époque, de tracer des caractères, et de faire sortir des situations même un dénouement naturel, tout le monde pouvait s’élever aux combinaisons de la mise en scène. Aussi fit-elle de rapides progrès ; l’accessoire devint bientôt le principal. Malheureusement cette fécondité s’épuisa vite, il fallut recourir toujours aux mêmes expédiens, et ces détails, qui d’abord avaient pu ajouter à la vérité de l’action, ne furent plus ni intéressans ni vraisemblables.

A cette époque cependant, M. Schlegel conservait encore des espérances : avec le temps, sa confiance parut diminuer. En 1825, il eut l’occasion de publier à Londres ses idées sur l’avenir, de la littérature allemande. Il voulait dissiper les préjugés des Anglais ; il s’abstint par conséquent de toute récrimination. Il ne négligea rien pour le succès de sa cause ; il vanta les progrès accomplis dans les sciences, dans la philologie, dans l’histoire, dans la philosophie. Les défauts qu’il est obligé de reconnaître, il les explique par des qualités propres à la nation allemande. C’est par amour de la simplicité que ses compatriotes