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« La lyre repose dans sa main gauche, de la droite il tient le bâton d’ivoire. Les assassins tombent à ses genoux éblouis comme s’ils voyaient la foudre. « Nous avons voulu le tuer, et il est devenu un dieu ! O terre, entr’ouvre-toi. »

«  - Il vit encore, le maître de l’harmonie ; le chanteur est sous la garde céleste. Je n’invoque pas les esprits de la vengeance, Arion ne veut pas de votre sang. Esclaves de l’avarice, allez au loin dans des contrées barbares, et que jamais la beauté ne relève vos esprits abattus. »


L’élégie intitulée l’Art grec, sans être une imitation, n’en est pas moins composée de souvenirs. Elle fut suivie d’une autre bien différente sur l’Alliance de l’Église et des Arts ; un tel rapprochement montre assez l’étendue de cet esprit accessible à toutes les émotions poétiques. Il ne sent pas la nécessité de choisir entre Homère et la Bible ; il célèbre à la fois les divinités de la Grèce et les harmonies de la religion chrétienne. Les premiers sonnets de M. Schlegel représentent des scènes empruntées aux livres saints, et rappellent les tableaux de l’école romaine : c’est la salutation évangélique, l’adoration des mages, la sainte famille. Plus tard, il réunit en une sorte de galerie les portraits des poètes italiens : Dante, Pétrarque, Boccace et les autres. S’inspirant tour à tour de chacun de ces poètes, il s’attache à reproduire leur style et leurs pensées, de telle sorte que la pièce sur Pétrarque semble être un sonnet de Pétrarque lui-même. Il déposa aussi, dans des sonnets, ses impressions personnelles ; ceux qu’il adressa à son frère, à MM. Tieck et Schelling, témoignent d’une haute estime et d’une amitié dévouée. On a quelquefois contesté la sincérité de ses sentimens ; il est difficile de n’y pas croire, à en juger par l’expression élevée et souvent touchante dont l’auteur les a revêtus. Il avait adopté comme devise une pensée indienne dont voici le sens : « L’arbre empoisonné de la vie offre cependant deux fruits bien doux, le commerce de nobles amis et l’ambroisie des vers. » La forme du sonnet ne laissait pas à l’imagination un bien libre essor ; mais, dans tous les genres où s’est essayée la muse de M. Schlegel, l’invention n’est pas le mérite dont il se montre le plus jaloux, bien qu’il en soit extrêmement touché chez les autres. Il est surtout préoccupé d’assouplir le rhythme encore rebelle et de donner à ses idées un tour poétique. Il est le continuateur de Klopstock et de Voss ; au moment où M. Schlegel entreprit cette tâche, elle avait un mérite particulier d’opportunité. C’est là une considération dont on tient rarement assez de compte. Le souvenir des services rendus ne suffit pas