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De la part de Burger, on a quelque peine à comprendre un pareil hommage. Vraisemblablement, il estimait si haut M. Schlegel en raison même du peu de rapports qu’il y avait entre eux ; c’était une contradiction comme il y en eut beaucoup dans sa vie et dans son talent. Quoi qu’il en soit, c’était trop promettre ; il n’était donné à personne de remplir une semblable attente. M. Schlegel sans doute ne s’y trompa pas. Les éloges de Burger ne durent pas moins être pour lui un puissant encouragement. Plus tard, quand sa parole aura acquis plus d’autorité, il paiera cette dette à la mémoire de son maître en prose d’abord, dans une longue notice, puis en vers, dans un sonnet, l’un des plus achevés de son recueil.

Cependant M. Schlegel n’est encore qu’un jeune homme honoré de l’amitié de Heyne et de Burger, et indécis entre la science et la poésie. À ce moment, il part (1793) ; il accompagne à Amsterdam un banquier qui lui a confié l’éducation de ses enfans. Il reste trois ans éloigné de son pays, et aucune production, si l’on excepte quelques pièces de vers, ne date de cette époque. Il se fortifie et se prépare en silence à la lutte qui l’attend. Il revient enfin en Allemagne et se rend à l’université d’Iéna, où Schiller était encore professeur, où lui-même allait bientôt le devenir. Six lieues seulement séparent Iéna de Weimar, et l’éclat de la cour se reflétait sur l’université. Grace à des communications fréquentes, une vie presque intime s’était établie entre les écrivains les plus considérables, attirés à la cour du grand-duc par des faveurs qui ne pouvaient porter d’ombrage. Là Wieland, Schiller, Novalis, Herder, et déjà aussi Frédéric Schlegel, étaient réunis sous la présidence de Goethe, qui les dominait tous par la supériorité de l’âge ou l’universalité du génie. M. L. Tieck allait bientôt se joindre à eux. M. Guillaume de Humboldt venait les visiter ; on était en correspondance avec Klopstock, avec Kant, Jakobi, Fichte et d’autres encore. Cependant, malgré ce brillant concours et le bon accord qui unissait tous les rivaux, un grand désordre régnait dans la littérature allemande, surtout dans la littérature dramatique. On était las, et avec raison, de l’imitation française ; notre théâtre d’alors, reflet affaibli et décoloré des grands maîtres, justifiait tous les anathèmes des novateurs, sans toutefois les autoriser à remonter plus haut ni à confondre les modèles avec de maladroites copies. Lessing le premier avait donné le signal de la réforme ; mais, malgré la violence de ses attaques et ses prétentions à l’originalité, il n’avait pu complètement secouer le joug, et n’avait guère fait que substituer au système fortement conçu des écrivains du XVIIe siècle les théories