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explosion de niveleurs chrétiens décidés à tout détruire, pour mieux préparer le sol où doit s’élever la cité de Dieu, nous tombons dans un chaos déplorable qu’on pare du beau nom d’égalité ; les passions les plus mauvaises se donnent carrière ; tous les signes d’une grande civilisation, la richesse, l’éclat des arts, le talent, la hiérarchie sociale, sont dénoncés, sont proscrits comme autant d’attentats à la fraternité humaine ; la société enfin est maudite, excommuniée, car elle est l’empire du mal.

Ces déplorables théories répandent dans beaucoup d’esprits le dégoût et l’épouvante : comment s’en étonner ? Il arrive même à plusieurs, sous cette impression, de conclure que la plus forte digue contre ces théories est l’immobilité complète des institutions et des lois : ici on commence à s’abuser. L’inaction n’a jamais triomphé du mal. La meilleure manière de conjurer les dangers qu’entraînent avec elles les idées fausses est de montrer le bien qu’on peut accomplir en pratiquant d’autres idées. Il y a des hommes qui se font de la misère du peuple un argument pour leurs opinions subversives ; voici un écrivain éloquent et célèbre qui s’arme de l’Évangile pour exercer sur les ames plus de persuasion et d’empire : ne sont-ce pas là des signes, des avertissemens dont les pouvoirs politiques doivent tenir compte ? Loin de prendre l’inertie pour attitude, les pouvoirs politiques doivent prouver par leurs actes qu’ils n’entendent pas laisser aux partis extrêmes le privilège de la charité et du dévouement envers les classes laborieuses. N’y a-t-il pas pour soulager les misères véritables des remèdes possibles ? Aux utopistes qui promettent au genre humain un bonheur chimérique n’y a-t-il pas à opposer des idées simples, fortes et pratiques, sur la condition des travailleurs, sur les rapports des fabricans et des ouvriers, sur l’éducation des enfans du peuple ? En un mot, il faut combattre l’erreur par l’action et par la pensée. L’action appartient au gouvernement, c’est-à-dire à la royauté et aux chambres qui, placées dans une sphère supérieure, ne peuvent avoir d’autre but que la satisfaction des intérêts vraiment généraux et légitimes. Le rôle des écrivains est plus modeste. Quand les idées sont faussées, ils les redressent ; si l’histoire est méconnue, travestie, ils la rétablissent : ils dissipent enfin les illusions, les mensonges, que répandent des systèmes erronés, en rappelant les lois de la nature humaine, ses conditions, ses limites. Ce n’est pas là un des moindres devoirs de la critique philosophique.


LERMINIER.