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à l’amour, c’est la haine de la société actuelle, où triomphe Satan. Il y a de belles et douces paroles, mais le fiel est au fond. L’écrivain nous dit qu’il faut arracher de son cœur les passions mauvaises, et en même temps il nous peint la richesse comme la source de toute corruption, et la pauvreté comme investie du privilège de la vertu. Il semble un moment tomber d’accord avec le Christ, que la vérité doit se propager par l’enseignement, par l’exemple, et non par l’épée ; puis aussitôt après il ajoute : Toutefois il y a des cas où la force doit être opposée à la force. Quels sont ces cas ? Il valait la peine de nous en instruire.

M. de Lamennais revient sans cesse sur la puissance de la foi, qui obtient tout et qui opère tout, car le monde appartient à ceux qui croient ; mais est-il en état de nous dire aujourd’hui à quoi il faut croire, à quoi doit s’appliquer la foi ? Jadis, lorsque M. de Lamennais tonnait contre l’indifférence de son siècle en matière de religion, il insistait sur les miracles, comme sur un des points les plus essentiels de la démonstration qu’il avait entreprise. Il faut, disait-il, ou nier le sens commun, ou avouer les miracles de Jésus-Christ, et avec eux la sainteté, la divinité du christianisme. Il ajoutait que, si on ne voulait pas renverser la base de toute certitude, on devait reconnaître que Jésus-Christ est ressuscité, et qu’il n’existe pas de fait plus certain. Si Jésus-Christ est ressuscité, comme l’avaient prédit les prophètes, il est donc le vrai messie, il est donc le véritable fils de Dieu, il est Dieu, il est Jéhovah. Nier ces conséquences, concluait M. de Lamennais, c’est nier la raison humaine ; donc, autant il est certain qu’il existe une raison humaine, autant il est certain que le christianisme est vrai. Aujourd’hui M. de Lamennais nous déclare que toutes ces questions qu’il tranchait autrefois à l’aide d’un dogmatisme si sûr de lui-même sont oiseuses ; c’est même un des crimes de l’ancien monde de s’en être occupé et de s’en occuper encore. Qu’importent les mystères du souverain être et les secrets de la création ? Vouloir sonder ces problèmes, c’est détourner le christianisme de sa voie véritable, et retarder sur la terre l’avènement du royaume de Dieu. Le peuple n’a que faire de ces choses : qu’il détruise le vieux monde ; cela seul est urgent, essentiel. On n’a jamais avec une plus déplorable franchise sacrifié les idées aux passions, et donné le pas aux mauvais instincts de la nature humaine sur le noble désir de chercher et de posséder la vérité. L’homme est ainsi mutilé dans son essence, dans sa pensée, et celui que les traditions chrétiennes nous représentent comme le Verbe divin, la source de toute science, l’éternelle raison de Dieu, n’est plus qu’un prédicateur de morale populaire craignant de remonter aux