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d’une introduction on il concentrait toute la doctrine politique de son école. — La France, disait-il en substance, est une nationalité. Toute nationalité est un but d’activité sociale, et tout but d’activité sociale est un devoir. Or, le but d’activité de la France, sa nationalité, son devoir, signifient une seule et même chose : la réalisation progressive de la fraternité universelle. Maintenant, qui peut imposer un devoir aux hommes, si ce n’est Dieu lui-même ? Tout devoir reconnu par les hommes suppose nécessairement que Dieu leur a manifesté sa volonté. Tout homme qui admet le devoir ne peut pas refuser de croire que Dieu ait pris un corps semblable au nôtre, et qu’il nous ait lui-même enseigné en quoi consistait sa volonté tant par sa parole que par ses actes. C’est ce qu’a fait Dieu il y a dix-huit cents ans. Il a pris un corps, et il a prêché aux hommes le devoir. Cette prédication, c’est l’Évangile. Tout est social dans l’Évangile, parce que tout y est fondé sur la loi de la fraternité universelle. La France est fille de l’Évangile, et toutes les sociétés européennes sont filles de la France. La révolution française ne demande et n’essaie rien que l’Évangile n’ait prescrit, et dont le catholicisme n’ait donné l’exemple. L’Évangile nous enseigne toutes les vérités de l’ordre social, et le royaume de Jésus-Christ est de ce monde aussi bien que de l’autre. Jésus-Christ a agi et il a parlé pour l’avenir, dont il a été le rédempteur et l’organisateur. La génération actuelle commence d’appliquer les dernières conséquences politiques et civiles de l’Évangile, qui appelle tous les peuples à la fraternité, à l’égalité, à la liberté. — Tel est le fond des soixante pages que M. Buchez a écrites en guise de préface aux Évangiles ; telle est la doctrine que M. de Lamennais reprend aujourd’hui en sous-œuvre avec quelques différences et avec des développemens dont il faut apprécier la valeur.

Ce retour à l’Évangile peut surprendre de la part de M. de Lamennais, qui a rompu si ouvertement non-seulement avec le catholicisme, mais avec le christianisme. L’auteur de l'Esquisse d’une Philosophie, des Discussions critiques, des Amschaspands et Darvands, est-il revenu à penser que l’Évangile est un livre sacré parce qu’il renferme la parole même de Dieu ? Pour lui, les dogmes du christianisme sont-ils redevenus vrais et divins ? Non, car M. de Lamennais nous déclare aujourd’hui que le Christ n’a point dogmatisé, qu’il a laissé une liberté entière à la spéculation, au travail perpétuel de la pensée d’où naît la science ; qu’il n’exige pas la foi à des « solutions doctrinales de questions qu’enveloppe l’éternel problème de la nature et de son auteur. » Le Christ est venu fonder la société sur la règle immuable du droit et